Vers le Big Data en Europe !
Le projet de règlement " Data Governance Act1 " vise à la mise en place d’un marché unique des données, et donc à lever les obstacles au bon fonctionnement de l’économie fondée sur les données, et, pour ce faire, à encadrer :
- la réutilisation des données, notamment celles détenues par le secteur public dans des domaines tels que la santé, la mobilité, l’énergie, le pacte vert pour l’Europe ;
- la fourniture de services aux entreprises utilisatrices et aux personnes concernées par des prestataires de services de partage de données, afin de créer un cadre harmonisé pour les échanges favorisant le partage des données ;
- la collecte et le traitement des données mises à disposition à des fins altruistes par les personnes.
I. Réutilisation des données du secteur public
La proposition repose sur l’idée selon laquelle les données produites aux frais de budgets publics devraient profiter à la société, et sur le constat que certaines catégories de données ne sont pas aisément accessibles parce que protégées par le secret médical et/ou du fait de leur caractère personnel, des droits de propriété intellectuelle, le secret des affaires.
Et ce, alors qu’il existe des techniques permettant d’effectuer des analyses respectueuses, telles que l’anonymisation, la " pseudonymisation ", la confidentialité différentielle, la généralisation ou la suppression et la randomisation, ou, lorsque la fourniture de données anonymisées ou modifiées ne permet pas de répondre aux besoins, une mise à disposition des données dans un environnement de traitement sécurisé et supervisé par le secteur public.
" Le numérique génère quantité de données dont la réutilisation est clef pour l’innovation, au bénéfice des citoyens. "
Bien sûr, la réutilisation des données doit se faire dans le respect d’une base juridique, notamment le consentement de la personne concernée, du droit de la concurrence et de conditions d’accès non discriminatoires, proportionnées et objectivement justifiées.
La valorisation des données est prévue, permettant aux organismes du secteur public de percevoir des redevances pour la réutilisation des données, le cas échéant différenciées selon la typologie d’acteurs bénéficiaires afin d’encourager les petites et moyennes entreprises.
Les États membres sont invités à mettre en place un point d’information unique pour les réutilisateurs de données détenues par les organismes publics, et désigner un ou plusieurs organismes compétents, éventuellement à caractère sectoriel, pour appuyer, en qualité de sous-traitant(s), les organismes du secteur public qui accordent l’accès aux données pour réutilisation, dans la mise en œuvre de traitements sécurisés ou la gestion du consentement.
II. Les prestataires de services de partage
Ces intermédiaires de données sont appelés à jouer un rôle clé dans l’économie fondée sur les données, en facilitant l’agrégation et l’échange de quantité de données pertinentes, via des services de mise en relation commerciale, juridique et technique des différents acteurs, personnes morales et personnes physiques. Leur légitimité suppose une indépendance tant à l’égard des détenteurs de données que des utilisateurs. Ainsi, ne sauraient fournir des services de partage, les prestataires de services en nuage, et les courtiers en données ou publicité, les cabinets de conseil en données, etc.
Enfin, ne constituent pas des prestataires de services de partage, les entités qui limitent leurs activités à faciliter l’utilisation de données mises à disposition selon le principe de l’altruisme en matière de données.
Parmi les prestataires de services de partage, les " coopératives de données " proposant leurs services à des personnes concernées aux personnes concernées constituent une catégorie particulière d’intermédiaires de données, et cherchent à renforcer la capacité d’action individuelle et le contrôle des individus sur les données les concernant. Ils les aident à exercer leurs droits au titre du RGPD, et notamment la gestion de leur consentement. Leur modèle commercial doit garantir l’absence d’incitations inadaptées poussant les personnes à mettre à disposition davantage de données qu’elles ne devraient le faire dans leur propre intérêt. Ces prestataires pourraient notamment fournir, à des fins de sécurité, un " espace de données à caractère personnel " afin de permettre un traitement sans transferts à des tiers.
La neutralité des prestataires de services de partage est fondamentale pour instaurer la confiance et accroître le contrôle des détenteurs et utilisateurs de données, à cet égard ces prestataires, établis ou représentés dans l’UE, ne doivent agir qu’en tant qu’intermédiaires dans les transactions, et ne sauraient utiliser les données échangées à une autre fin. Afin d’éviter les conflits d’intérêts, le service de partage de données doit être fourni par une entité juridique distincte des autres activités du prestataire. En outre, les coopératives de données doivent assumer un devoir de loyauté à l’égard des personnes physiques afin d’en préserver les intérêts.
Afin de garantir une gouvernance au sein de l’Union, fondée sur un échange de données digne de confiance, tout prestataire de services de partage est tenu de procéder à une notification de son activité à l’autorité compétente, assortie des renseignements relatifs à sa forme et son activité.
III. L’altruisme en matière de données
Cette nouvelle terminologie recouvre la mise à disposition de données à caractère personnel volontairement par des personnes concernées avec leur consentement, ou de données non personnelles par des personnes morales, et vise la réutilisation à des fins d’intérêt général des données, définies comme incluant notamment les soins de santé, la lutte contre le changement climatique, l’amélioration de la mobilité, mais aussi le soutien à la recherche scientifique, au développement technologique y compris financé par des fonds privés. L’ambition est de faire émerger des réserves de données d’une taille suffisante pour permettre l’apprentissage automatique, y compris en dehors de l’UE.
Les entités cherchant à promouvoir des finalités d’intérêt général en mettant à disposition des données à grande échelle pourront s’enregistrer en tant qu’" organisation altruiste en matière de données reconnue dans l’Union ". Ces entités devront avoir un but non lucratif, répondre à des exigences de transparence notamment concernant les garanties, visant à protéger les droits et intérêts des personnes concernées et entreprises, concernant les environnements de traitement sécurisés, les mécanismes de surveillance tels que conseils d’éthique, les moyens techniques efficaces pour retirer ou modifier le consentement et informer sur l’utilisation des données.
Les personnes concernées pourront consentir à des finalités spécifiques, mais également " donner leur consentement au traitement de données dans certains domaines de recherche ou pour certaines parties de projets de recherche, sachant qu’il est souvent impossible de cerner entièrement la finalité d’un traitement de données à caractère personnel à des fins de recherche scientifique au moment de la collecte des données ". Une importante avancée pour le milieu de la recherche !
Un formulaire de consentement européen à l’altruisme en matière de données sera élaboré par la Commission au moyen d’un acte d’exécution.
Les sanctions applicables aux violations des dispositions du règlement seront déterminées par les États membres tenus de veiller à ce qu’elles soient effectives, proportionnées et dissuasives. Ce règlement sera applicable douze mois après son entrée en vigueur prévue pour le premier semestre 2022 et directement applicable compte tenu de sa nature.
SUR LES AUTEURS. Marguerite Brac de La Perrière et Mathilde Croze, associées de l’équipe IT Data du cabinet Lerins, disposent de compétences complémentaires en droit du numérique, dans un contexte international, avec de fortes expertises en matière d’intelligence artificielle, de Big Data, de santé numérique et de contractualisation sur des projets innovants.
1 Proposition de règlement sur la gouvernance européenne des données.