Trois associées de l’équipe spécialisée en contentieux et arbitrage du cabinet Winston & Strawn reviennent sur les tendances de leur activité ainsi que sur l’augmentation majeure du nombre de Modes alternatifs de règlement des différends depuis quelques années.

Décideurs. L’arbitrage connaît un intérêt particulier depuis quelques années. Qu’en est-il depuis le début de la crise sanitaire du Covid-19 ?

Mathilde Lefranc-Barthe. Nous pratiquons beaucoup les Modes alternatifs de règlements des différends (Mard). Nos quelques clients qui n’étaient pas encore convaincus de l’intérêt de ces méthodes en ont eu la démonstration évidente avec la crise : il s’agissait pour eux du seul moyen de s’emparer des dossiers et de les faire vivre alors que tous les tribunaux étaient à l’arrêt. Quand il y a une absolue nécessité de régler le litige, les Mard permettent d’aller plus vite et d’être très efficace, même à distance. Par ailleurs, ils permettent aux parties de se parler et se confronter. Je trouve que c’est une très bonne chose de voir les clients à l’oeuvre : cela donne lieu à une grande souplesse et créativité parce qu’il n’y a pas de limites. Il revient aux parties et aux avocats de faire de la haute couture et de déterminer ensemble la méthode qui sera efficace pour régler le conflit. Le fonctionnement de cette méthode n’est pas nouveau, mais celle-ci est encore plus présente dans notre pratique depuis le mois de mars. Typiquement, avec Sara Susnjar et Gilles Bigot, nous nous occupons d’un contentieux pendant devant les juridictions françaises qui implique deux sociétés américaines dont l’une des dirigeantes est en Californie. Nous avons ainsi envisagé l’organisation d’une visio-conférence et je pense que cela va devenir usuel. La crise nous donne donc des opportunités. Nous avons également pu travailler davantage avec nos bureaux étrangers. Par ailleurs, avec le confinement, nos clients travaillaient à effectifs réduits et cela nous a permis d’avoir un accès privilégié et plus direct à des chefs d’entreprise.

Anne-Carine Ropars-Furet. Le contentieux est une activité contra-cyclique : en contexte de crise, les litiges sont plus nombreux. La force de notre cabinet est de pouvoir répondre à leur besoin principal : trouver une solution rapide à leurs différends. Pendant le confinement, j’ai proposé des médiations pour plusieurs nouveaux dossiers et celles-ci ont été acceptées par la partie en face avec beaucoup plus de facilité qu’auparavant. L’un d’entre eux s’est transformé en contrat de partenariat : d’un dossier contentieux, nous sommes passés à une vraie opportunité de business. C’est loin d’être systématique, mais seuls les modes amiables permettent une telle issue. En effet, lors de la première réunion, les deux parties se sont rendu compte qu’elles étaient complémentaires dans beaucoup de domaines et le défendeur a finalement proposé un partenariat sur cinq ans prévoyant une sous-traitance de certains dossiers, de façon à apporter du business à la partie demanderesse et ainsi indemniser son préjudice. Cette voie fut très intéressante, notamment parce que si nous avions poursuivi le contentieux, au regard de la durée d’une procédure, mon client n’aurait pas eu gain de cause avant cinq ans. Je transige 80 % de mes dossiers : cela peut passer par de la négociation entre confrères, de la médiation, du processus collaboratif… Le mode amiable est un élément fondateur de notre stratégie de conseil et de notre manière de gérer les dossiers.

"Les modes alternatifs sont aussi très bénéfiques pour nos clients : cela les aide à être acteurs de l’issue de leur litige et à réfléchir différemment"

Quels membres de votre équipe sont formés aux Mard ?

A.-C. R.-F. Au cabinet, nous sommes trois associés formés aux Mard : Mathilde Lefranc-Barthe, Jérôme Herbet et moi-même. Nous incitons également nos collaborateurs à faire cette formation afin qu’ils puissent les mettre en oeuvre dans leurs propres dossiers, cela nous semble désormais indispensable. Dans les modes amiables, nous ne pouvons pas diviser le travail comme lors de la rédaction de conclusions. En effet, le client souhaite notre présence du début à la fin des négociations.

Les modes alternatifs sont aussi très bénéfiques pour nos clients : cela les aide à être acteurs de l’issue de leur litige et à réfléchir différemment, alors que dans un dossier contentieux classique, ils sont spectateurs du débat et subissent l’aléa judiciaire. Les Mard les aident par ailleurs à accepter que la partie qui initialement était leur adversaire ait, elle aussi, voix au chapitre. Enfin, même lorsque le mode alternatif n’aboutit pas à la résolution du conflit, les personnes concernées retiendront des éléments de la tentative de négociation qui leur permettront de comprendre différemment le dossier, d’en avoir une vision plus objective. Très souvent, au cours du premier rendez-vous, nous nous mettons d’accord sur les points qui sont sources de différends entre les parties et, en tant qu’avocate, cela me permet de mieux appréhender l’argumentaire de mon confrère si le dossier part finalement au contentieux. Cela permet, je trouve, de mieux circonscrire le débat juridique. Toutefois, en réalité, si la première rencontre entre les parties se déroule bien, il y a 90 % de chances que l’on arrive au bout du processus amiable.

M. L.-B. Il existe un point fondamental chez Winston & Strawn : nous sommes face à des équipes de niche et notre pratique en contentieux est plutôt généraliste, ce qui nous permet d’attraper les opportunités au vol. Un bon exemple est celui des procédures collectives qui ont considérablement augmenté depuis le Covid-19.

Quelles autres tendances avez-vous observées au cours des derniers mois ?

Sara Susnjar. En tant qu’avocate, en droit des affaires, de clients poursuivant ou étant engagés dans des litiges en matière réglementaire devant l’administration française ou en matière d’arbitrage, nous voyons deux grandes tendances se dégager auprès de nos clients anglo-saxons au cours de ces derniers mois. La première est le fait qu’ils sont plus enclins à engager une procédure d’arbitrage ou contentieuse en France qu’avant. En effet, ce cadre français leur permet un règlement équitable de leurs litiges. La seconde est celle d’un recours accru à l’arbitrage, particulièrement en matière de litiges post-transactions. Au regard de ces tendances, notre activité dans ce domaine augmente chaque année, et particulièrement ces derniers mois. Nous avons des dossiers dont la valeur est de plus de 50 millions d’euros. Quand nos clients décident d’engager une telle procédure, ils ne sont en général pas conscients qu’elle peut durer entre quatre et cinq ans et qu’elle a un coût souvent élevé. Ils imaginent seulement transiger sans passer par une audience. C’est pour cette raison que nous sommes transtransparents avec nos clients en les accompagnant et en les guidant tout au long de cette procédure.

"Le contentieux se réduit aujourd’hui à l’essentiel. 
Nos clients ne s’impliquent que quand cela est absolument nécessaire
et qu’ils n’ont pas d’autre choix"

A.-C. R.-F. Nous pensions que la crise permettrait de faire de la procédure participative de mise en état. Cette dernière a été mise en place en début d’année et permet aux avocats de déterminer en commun leur propre calendrier avec un engagement de la juridiction de fixer ensuite très rapidement les plaidoiries. Je trouve extrêmement dommage que les avocats ne se saisissent pas de cette opportunité. Je l’ai, pour ma part, proposée à un confrère qui était appelant et qui aurait donc eu tout intérêt à l’accepter, mais il a refusé, sans doute par méconnaissance.
J’ai par ailleurs remarqué dans le cadre de mes dossiers au cours des six derniers mois que lorsque nous n’avons pas recours à la médiation, l’ambiance est très agressive. Les confrères n’hésitent pas à faire des référés d’heure à heure. Si nous ne réglons pas le litige à l’amiable, nous savons qu’une bataille nous attend.

M. L.-B. Je suis d’accord. Le contentieux se réduit aujourd’hui à l’essentiel. Nos clients ne s’impliquent que quand cela est absolument nécessaire et qu’ils n’ont pas d’autre choix : ils sont donc très déterminés lorsque cela se produit.
De mon côté, j’ai relevé une autre tendance, à savoir la multiplication des échanges avec les magistrats en dehors des audiences. Cela est très lié au confinement et au fait que les greffes étaient dépassées. Les magistrats nous contactaient directement par courriel pour avoir des compléments d’information. Les circonstances exceptionnelles ont forcé tout le monde à trouver des modes de communication différents et cela a permis une fluidité que nous n’avons jamais connue dans nos dossiers. J’espère que cette tendance va perdurer !

Avec le développement des audiences par visio-conférences, comment voyez-vous l’avenir ?

A.-C. R.-F. Je pense que cela dépend des juridictions et des magistrats, s’ils sont à l’aise avec cette pratique ou non. Toutefois, je suis assez dubitative sur la durabilité de cette pratique : Aujourd’hui déjà, nous utilisons moins la visio-conférence que pendant le confinement. Il semble d’ailleurs que les décrets qui autorisaient les audiences par visioconférence n’aient pas été renouvelés dans le cadre du second confinement puisque l’activité des juridictions est censée  se poursuivre normalement. C’est dommage pour des plaidoiries en région, cela serait un sacré gain de temps et d’économie pour nos clients…

M. L.-B. Nous avons la chance de pratiquer l’arbitrage de façon régulière donc nous sommes habitués à ce côté un peu informel. Toutefois, il faut se souvenir que l’audience a un rôle : elle participe à faire évoluer la justice et ce n’est pas le fruit du hasard si cela fonctionne de cette façon depuis des siècles.

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de gauche à droite : Mathilde Lefranc-Barthe, Anne-Carine Ropars-Furet et Sara Susnjar, associées du cabinet Winston & Strawn

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