Toujours plus rapide et toujours moins chère, l’ultra fast fashion morcèle le secteur de l’habillement. Des enjeux de transformation digitale aux sujets sociaux et environnementaux, les marques se doivent de monter au créneau. Yann Rivoallan, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin, revient sur les défis de cette industrie.

Décideurs. Depuis plusieurs années, les enseignes étrangères dites d'« ultra fast fashion » gagnent toujours plus de parts de marché dans l'Hexagone. Quel est votre état des lieux ?

Yann Rivoallan. Pour comprendre le positionnement des mastodontes du secteur, il faut se pencher sur les évolutions de ces trente dernières années. La transformation du marché est comparable à un sablier. Au milieu, se situent les enseignes de moyenne gamme telles que Pimkie, Chevignon ou Naf Naf. D’un seul coup d’œil, les consommateurs identifient une image de marque, des valeurs et une certaine saisonnalité. Des marques comme Sézane, Bash ou Sandro se sont hissées en haut du sablier en offrant des produits plus chers mais avec une valeur et une image haut de gamme. L’arrivée du digital et son offre foisonnante a ouvert la porte aux entreprises comme Shein qui proposent des prix jusqu’à cinq fois moins chers, ce qui les place au bas du sablier.

Quel avenir pour le secteur de l'habillement français ?

Les marques doivent opérer une transition à travers un positionnement par le bas ou par le haut. Autrement dit, avec un business model (BM) basé sur un prix contrôlé par le volume de production, en définissant des produits « petits prix », comme Gifi sait le faire, ou avec un BM centré sur l’image et une offre premium dotée de nombreux services. Sans oublier que la qualité se définit à différents niveaux clés tels que le packaging, la distribution ou le prix. Autant d’éléments qui permettent d’obtenir un niveau de gamme « made in France » ou « made in Europe » que les consommateurs seront fiers d’acheter. Une façon également de renouer avec des articles qui dureront à vie.

"L’essor de Shein apporte de nombreux enseignements positifs"

Pour enrayer le phénomène, les différents axes de la loi fast fashion devraient s'appliquer dès 2025. Est-ce suffisant selon vous ? 

La question n’est pas de savoir si cette loi est parfaite, le pire serait de ne rien faire. En faisant des vêtements des produits réglementés, acheter un t-shirt devient un geste addictif du quotidien au même titre que boire de l’alcool ou fumer des cigarettes. Un revirement imputable aux réseaux sociaux et aux plateformes comme Shein. Ce texte vise à protéger la société et la planète mais également à comprendre les modèles d’organisation des marques d’ultra fast fashion afin de s’adapter.

La mise en place d’une écotaxe attribuée au consommateur répond à un besoin de pédagogie et permettra de valoriser les entreprises vertueuses contre celles qui ne le sont pas. Ce système de bonus-malus représente une vraie avancée sur le lien entre écologie et capitalisme. Pour l’heure, la traçabilité complexe des produits mettra des années avant d’être rectifiée. Un temps nécessaire pour ajuster cette loi, avec un score environnemental ou social par exemple, après sa validation par le Sénat.

Malgré des business model qui favorisent des pratiques contestables, les entreprises comme Shein s'ancrent dans l'ère du temps en se basant sur la donnée et une stratégie marketing rodée. Les marques françaises pourraient-elles s'inspirer de cette avance sur le plan numérique et marketing ? 

Shein a battu des records sur le plan environnemental, avec des niveaux de pollution jamais atteints, sur le plan social avec l’esclavagisme dans les usines, et sur le plan digital grâce à sa fine utilisation de l’IA. Rares sont les entreprises à la maîtriser à ce niveau d’efficacité. L’essor de Shein apporte toutefois de nombreux enseignements positifs, dont notre volonté de nous protéger de pratiques honteuses, notamment en matière de pollution ou d’exploitation des collaborateurs. La méthode Lean, développée par Toyota il y a cinquante ans, est particulièrement bien utilisée par des sociétés comme Zara. Sur la base d’une production de petites quantités avec une grande récurrence, l’enseigne sort une nouvelle collection toutes les trois semaines. Dans le modèle asiatique, c’est tous les trois jours.

"70 à 80% de la pollution d’un vêtement est issu de sa fabrication"

Dans les faits, Shein fonde son inspiration sans fin sur l’aspiration de la donnée du monde entier. Si le modèle est crapuleux, il permet de comprendre les besoins des clients à travers des tendances parfois inattendues telle que la nuisette pour homme ! La valorisation de la donnée s’avère être un véritable outil, y compris pour dépasser certaines croyances et observer les changements de consommation.

Enfin, une organisation efficiente des stocks se révèle indispensable. Si l’enseigne chinoise arrive à produire en trois jours ce que les marques françaises confectionnent en trois mois, c’est grâce à l’automatisation qui intègre toutes les étapes du processus. Des sociétés comme Autone accompagnent notamment les marques dans l’optimisation de leur supply chain afin de comprendre quel point de vente est le plus stratégique pour maximiser les ventes et éviter le surstockage. Ces entreprises basées sur l’IA améliorent non seulement la qualité de l’expérience client mais aussi les ventes et l’impact sur l’environnement. À mon sens, il s’agit de l’une des meilleures réponses à la Chine dans ce domaine.

Le contexte économique et écologique favorise aussi l'engouement pour la seconde main, tant entre particuliers qu’en BtoC. Est-ce une solution vertueuse selon vous ?

Le premier critère d’achat en seconde main est le prix. L’aspect environnemental est aussi très important. 70 à 80% de la pollution d’un vêtement est issu de sa fabrication. En plus d’être une solution à petit prix, il s’agit d’une aubaine pour la planète ! La seconde main occupe une place centrale avec des plateformes comme Vinted ou Vestiaire collective mais aussi directement auprès des marques qui s’emparent du mouvement. L’impulsion se poursuivra grâce au développement de stratégies de distribution omnicanal ou le rayonnement des réseaux sociaux.

Propos recueillis par Léa Pierre-Joseph

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