La protection des œuvres audiovisuelles durant leur phase de développement revêt une importance cruciale. Cette période de gestation artistique se traduit par la création d’une diversité de documents littéraires préparatoires et amène à interroger la protection juridique établie en vue d’en empêcher toute reprise par des tiers. Si André Gide considérait que "l’art commence avec la difficulté", force est de constater que la jurisprudence tend par sa sévérité à souligner la frontière toujours complexe séparant l’œuvre de l’idée.

La période de gestation d’un projet audiovisuel est cruciale et parfois longue. Elle passe par l’établissement de documents littéraires plus ou moins détaillés : pitch, synopsis, bibles, etc., qui sont amenés à circuler. Dans ce cadre, il est primordial pour les auteurs et producteurs de veiller à la protection juridique de leurs projets et de s’opposer à la reprise de leurs travaux par des tiers.

Afin d’appréhender au mieux la protection accordée à ces documents, il faut rappeler le principe fondamental en matière de propriété intellectuelle selon lequel les idées sont de libre parcours et que seule la mise en forme est protégeable. Ainsi, une idée lancée dans une discussion ou dans un bref document écrit ne sera pas une œuvre et de simples points communs entre deux projets ne suffisent pas à eux seuls à caractériser un acte de contrefaçon.

"Les idées sont de libre parcours et seule leur mise en forme est protégeable"

Dans chaque situation laissant présager une contrefaçon d’un projet, il est alors nécessaire d’établir d’une part que le document préparatif est en lui-même une œuvre et d’autre part qu’il existe une contrefaçon de ce document. L’appréhension de ces documents va différer selon qu’il s’agit d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles.

Une difficile protection des travaux préparatoires d’œuvres cinématographiques

La jurisprudence actuelle est souvent sévère s’agissant d’accorder la qualité d’œuvre protégée à des documents préparatoires. En effet, l’absence de protection des idées amène à distinguer les simples "pitchs" décrivant rapidement une intrigue des documents intégrant de réelles intentions relatives à la mise en scène, au découpage, aux dialogues, etc.

Ainsi la seule idée d’un court-métrage dans lequel l’héroïne recherche une personne dont elle trouve la photographie dans des cabines de photomaton, n’a pas été jugée protégeable et le film "Le fabuleux destin d’Amélie Poulain" n’est donc pas jugé contrefaisant de ce court-métrage. De la même manière, une idée de scénario traitant de la passion d’un personnage pour la boxe et des effets de la guerre d’Algérie sur un homme est un thème commun qui peut être repris dans un film sans constituer une contrefaçon de ce projet de scénario.

Plus récemment, la demande du producteur du film "Les collègues" visant à faire sanctionner la contrefaçon de son projet par le film "Les seigneurs" a encore été déclarée irrecevable dans la mesure où celui-ci mentionnait seulement des éléments sur l’histoire et les personnages. La juridiction a estimé que cette description seule ne permettait pas de caractériser l’originalité d’une œuvre audiovisuelle.

"Dès lors qu’une action en contrefaçon est envisagée, une étude au cas par cas est impérative"

Un autre exemple peut être donné s’agissant du film "Hollywoo". En l’espèce, si de nombreux points communs ont été relevés par les juges entre un synopsis antérieur et le film, ces derniers ont néanmoins choisi de qualifier l’ensemble des éléments repris de "thème commun non protégeable". La décision est alors très sévère et difficile à comprendre car il pourrait être avancé que lesdits éléments sont plus développés qu’une simple idée, dans la mesure où ils s’attachent à définir non seulement les personnages mais également le déroulement du récit. En matière de série audiovisuelle et d’animation, les décisions apparaissent plus nuancées et plus favorables aux auteurs.

Une protection des synopsis et bibles audiovisuelles reconnues

La protection de synopsis, d’émission et de bible a ainsi pu être admise et mises en œuvre par leurs ayants droit à plusieurs reprises. Les juges s’attachent cependant à rappeler qu’un synopsis doit être non seulement suffisamment détaillé mais également réellement original. En ce sens la mise en forme d’un "schéma classique destiné à éveiller la curiosité intellectuelle des enfants, au moyen de procédés connus", n’est pas une œuvre originale. La Cour de cassation a pu rappeler qu’un document intitulé "synopsis" mais comprenant seulement une présentation sommaire d’un projet de documentaire, reprenant la chronologie des événements historiques n’est pas non plus original. À cette occasion, elle a ajouté que "la détermination de la qualité d’auteur d’une œuvre protégée relève exclusivement de la loi" peu importe les déclarations faites auprès des organismes de gestion collective.

La protection des « bibles » est largement reconnue dans la mesure où celles-ci établissent précisément un cadre artistique pour le film ou la série, s’attachant à caractériser les personnages, les décors, la structure narrative, etc. Dès 1992, les juges admettent la qualité d’auteurs aux personnes ayant écrit un guide devant être respecté lors de la confection de l’œuvre télévisuelle "Voisins Voisines".

Dans le même sens en matière d’animation, il a été jugé qu’une bible était protégeable "en ce qu’elle définit les caractéristiques d’une série audiovisuelle originale". Cependant, la demande en contrefaçon à l’encontre de la série Les Lapins Crétins a été rejetée car les éléments repris "présentent des similitudes uniquement en ce qu’ils empruntent au fonds commun du dessin animé ou de la bande dessinée".

Conditions générales pour bénéficier de la protection du droit d’auteur au cours du développement

Qu’il s’agisse donc des travaux préparatoires d’un film, d’une série ou de toute œuvre audiovisuelle, la protection de ceux-ci suppose qu’ils soient suffisamment mis en forme et détaillés. Le contenu doit aller au-delà de la simple idée ou reprises de figures classiques et s’attacher à mettre en forme un projet, son identité artistique, la caractérisation des personnages, l’ambiance sonore, etc. Au-delà de la protection de l’œuvre première, il faudra démontrer la contrefaçon de celle-ci par l’œuvre secondaire, les reprises ne devant pas porter sur de simples idées ou thèmes généraux.

Aussi, dès lors qu’une action en contrefaçon est envisagée, une étude au cas par cas est impérative : une première analyse doit être faite pour établir si les éléments en cause sont réellement protégeables. À l’issue de celle-ci, si la protection semble avérée, une seconde analyse doit être mise en œuvre afin de comparer l’œuvre première et l’œuvre seconde.

Enfin, il doit être noté que dans le cadre de la défense de ses droits, le demandeur doit apporter la preuve de l’antériorité des éléments qu’il souhaite voir protéger. C’est pourquoi il est conseillé de procéder au dépôt des projets auprès des organismes de gestion collective proposant ce service. De manière positive, la Cour de cassation est venue préciser que le demandeur n’a pas à établir que le tiers contrefacteur a eu accès à son œuvre. Au vu des développements ci-avant, avant d’engager une action en contrefaçon, une étude in concreto des caractéristiques de chaque projet doit être réalisée. Pour procéder à cette analyse, il est alors judicieux de prendre conseil auprès d’un avocat spécialisé qui apportera un regard neutre et expérimenté afin de conseiller au mieux les ayants droit du projet initial.

 

SUR L’AUTEUR
Avocat au barreau de Paris spécialisé en droit de la propriété intellectuelle, droit des nouvelles technologies et droit des affaires. Sébastien Lachaussée a suivi une double formation en droit français et allemand des affaires orientée vers la propriété intellectuelle (Panthéon-Assas) et est également diplômé du Master DI2C (Panthéon Sorbonne / Sceaux).

Avant la fondation du cabinet L Avocat, Sébastien Lachaussée a bénéficié d’expériences au sein des pôles médias et nouvelles technologies de grands cabinets et auprès d’un cabinet de niche réputé pour son expertise en droit du cinéma. Ses langues de travail sont le français, l’anglais et l’allemand.

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