L’intégration de l’intelligence artificielle dans le secteur de la défense pose le défi unique de l’accès et de la gestion des données classifiées, nécessaires à l’entraînement des intelligences artificielles type machine et deep learning.

Dans le secteur de la défense, la donnée est souvent issue de plateformes fonctionnant sur des architectures propriétaires. Une particularité de l’industrie de défense qui ne donne pas les moyens d’innover de manière rapide dans ce domaine.

De la sécurité des données classifiées

Le secteur de la défense dispose d’un nombre important de capteurs (drones, radars…) qui fournissent une quantité encore plus grande de données opérationnelles, profitables pour l’entraînement des algorithmes d’IA. Ces données opérationnelles sont cependant soumises au secret de la défense nationale donc réduites à une distribution limitée. Il existe aussi plusieurs niveaux de classification pour encadrer leur diffusion, rendant complexe le traitement par des tiers non habilités.

Se pose également la question des infrastructures de transport des données. La France ne dispose pas encore de services cloud à l’image d’Azure Government Secret de Microsoft ou d’Amazon Web Services Secret cloud. Le secteur de la défense n’ayant pas pour habitude de fonctionner en réseau, favorisant des lieux physiques sécurisés et déconnectés. Si les data centers publics confèrent un avantage compétitif en matière d’infrastructures à la demande, il n’est pas envisageable de les utiliser dans le cadre de données classifiées.

Des solutions provisoires

Pour contourner ces limitations, il existe des solutions. Des simulations dites "réalistes", qui génèrent des données simulées, offrent une alternative pour l’entraînement des IA mais elles doivent être en mesure de prouver leur efficacité et leur fiabilité. Seul l’accès à la donnée brute garantit une IA opérationnelle pour le théâtre des opérations. Le chiffrement homomorphe constitue un autre moyen de réaliser des opérations sans accéder aux données classifiées. Le résultat reste chiffré et ne peut être lu que par le destinataire désigné.

Ce sont, à date, les solutions les plus prometteuses. Malheureusement, elles ne sont pas encore assez mûres pour une utilisation industrielle sur le court terme.

Vers une approche écosystémique

Dans ce contexte, la coopération entre les acteurs étatiques et les entreprises spécialisées dans la donnée représente un enjeu crucial car elle marque un changement par rapport aux relations que l’État entretient habituellement avec la base industrielle et technologique de défense (BITD). L’économie numérique, bien souvent éloignée du secteur de la défense, peut être tentée d’éviter de collaborer avec lui.

Par ailleurs, les géants de la défense sont représentés par des entreprises comme Lockheed Martin ou encore Northrop Grumman qui, bien qu’issues de pays alliés, restent des entreprises étrangères. Les armées nationales se montrent naturellement réticentes à partager leurs données.

À l’avenir, les technologies d’IA pourront être de plus en plus embarquées sur les plateformes militaires. Pour passer à la mise en réseau de ces plateformes et à l’intégration logiciel, les armées doivent endosser un rôle de maître d’œuvre pour ouvrir la maîtrise de la donnée. À ce titre, l’Agence ministérielle de l’IA de défense (Amiad), dont le lancement est prévu en juillet prochain, concrétise le pas pris dans cette direction. Acteurs étatiques, industriels de la défense et autres entreprises pourront travailler sur des projets communs et "traiter souverainement des données secret-défense", selon les mots du ministre des Armées Sébastien Lecornu.

Cette ouverture des données classifiées aux entreprises du privé demande du temps pour aboutir. Elle doit répondre à des enjeux importants de sécurité et de souveraineté. La performance des algorithmes, aujourd’hui formés sur des données commerciales, se révèle viable pour une application au monde militaire. L’intelligence artificielle est une composante essentielle de l’innovation et le champ militaire doit pouvoir s’en saisir.

Sasha Alliel

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