Avec des innovations de pointe en matière de logiciels et d’outils hardware, le géant des puces Nvidia s’ancre chaque jour un peu plus sur le marché de l’IA. Coup de projecteur sur le positionnement et les perspectives du groupe avec Serge Palaric, vice-président Alliances & OEMs de la région EMEA chez Nvidia.

Décideurs. En 2023, Nvidia a connu une percée capitalistique spectaculaire. De quelle façon l’IA va-t-elle continuer de définir vos activités ?

Serge Palaric. Depuis plus de vingt ans, Nvidia cherche à démocratiser l'IA auprès du plus grand nombre notamment des entreprises et des fournisseurs de cloud. L’arrivée de ChatGPT a marqué un véritable tournant dans cette démarche. Pour l’anecdote, la puissance de calcul de ce célèbre outil d’IA générative tient aux 10 000 processeurs graphiques produits par Nvidia. Avec ChatGPT, chacun d'entre nous peut accéder à l’IA générative sur une multitude de supports. De nombreuses entreprises ont alors réalisé que l'IA, y compris générative, était une réalité applicable à de multiples domaines.

Dans l'esprit de beaucoup de gens, Nvidia se limite à du hardware et des processeurs graphiques. Pourtant, nous travaillons activement sur l'IA et, si cela peut paraître paradoxal, Nvidia développe essentiellement des librairies et des logiciels. Pour différents métiers de l’entreprise, nous avons mis en place une série de solutions logicielles afin que les développeurs conçoivent leurs propres applications. Des outils qui ont l’avantage de fonctionner sur serveur interne comme dans le cloud.

"Dans l'esprit de beaucoup de gens, Nvidia se limite à du hardware et des processeurs graphiques"

Au-delà de ces activités, nos solutions réseaux complètent le tableau. Nous regardons le data center comme un objet unique combinant des GPUs, DPUs, CPUS et réseau. Nous sommes les seuls du marché à faire de l'InfiniBand [interconnexion qui permet l’échange de données entre processeurs et périphériques, Ndlr] qui permet des transferts de données aussi performants entre les GPU ou les data centers.

La mise en production du supercalculateur DGX GH200, essentiel à la performance de calcul des IA génératives, a fait grand bruit. Comment alliez-vous puissance de calcul et perspectives écologiques ?

Il est important de rappeler que la consommation énergétique d’une solution s’évalue dans son entièreté au regard de la performance qu’elle va délivrer. La puce Grace Hopper GH200 a été constituée à partir de la technologie Arm couplée aux dernières technologies GPU H100. Dès sa conception, nous avons combiné diverses innovations capables d’optimiser la puissance de calcul en produisant une moindre consommation d’énergie. Les processeurs Arm ont fait leurs preuves en la matière. Avec GH200, nous voulons offrir aux acteurs qui font des data centers, sur serveur interne ou dans le cloud, la meilleure combinaison possible entre les dernières GPU Nvidia combinées aux technologies de mémoire et le réseau dernier cri.

Le groupe s’attache constamment à concilier puissance de calcul et réduction de la consommation d’énergie. Un indispensable quand certaines entreprises incluent ce critère dans leur cahier des charges et que l’on sait que les directives en faveur des technologies vertes vont se multiplier.

"Parmi nos initiatives, le programme AI Nation vise à échanger avec différents gouvernements sur leur stratégie d’IA"

Les éventuelles pénuries de processeurs graphiques restent une crainte pour certains, quitte à favoriser les challengers. Que leur répondez-vous ?

À l’image des pénuries rencontrées lors de la crise du Covid, l’année 2023 a connu son lot de pressions avec une forte demande sur les processeurs graphiques, les condensateurs ou des câbles spécifiques, mais les choses s’améliorent progressivement. Pour ce qui est de la concurrence, il s’agit d’une configuration saine pour tout marché qui permet de le stimuler. Aujourd’hui, la force de Nvidia réside dans une offre logicielle que nos concurrents ne possèdent pas.

Les logiciels que vous proposez multiplient les cas d’usage au service d’acteurs variés. En quoi consistent ces plateformes ?

L’une de nos ambitions est d’aider les développeurs à accélérer la conception, et donc la commercialisation, de leurs applications. Si les métiers de la cybersécurité peuvent capitaliser sur Nvidia Morpheus, la suite Nvidia Omniverse consiste à redéfinir l’usine de demain. Mercedes a d’ailleurs annoncé l’utiliser pour la construction de ses prochaines usines. Mais Omniverse ne se limite pas à des métavers industriels. La combinaison entre intelligence artificielle, visualisation et puissance de calcul permet d’optimiser la prise de décisions. Lors du changement d’orientation d’un ouragan par exemple, la simulation permet d’anticiper des événements de grande ampleur qui touchent la population et l’environnement, et aviser sur la marche à suivre, le cas échéant.

Pour sa part, la solution Nvidia Clara renforce la recherche médicale. Avec elle, les résultats de simulation prennent quelques heures contre plusieurs semaines habituellement. Enfin, nous avons créé la collection de logiciels Metropolis pour les smart spaces. Les utilisateurs de ces briques peuvent ainsi s’appuyer sur leurs développeurs ou sur nos partenaires qui délivrent des solutions connectées pour la distribution, la logistique, la gestion du trafic ou la production industrielle.

Nvidia noue également des partenariats pour faire avancer la recherche. Comment ces initiatives se déclinent-elles ?

Parmi nos initiatives, le programme AI Nation vise à échanger avec différents gouvernements sur leur stratégie d’IA. À titre d’exemple, le centre national de calcul Jean Zay à Saclay est accessible aux universités et aux centres de recherche français qui présentent un projet pertinent. Notre collaboration consiste à mettre à disposition les éléments de plateforme nécessaires et approprié au plus grand nombre. L’objectif ? Mettre en lumière les éléments qui manquent aux chercheurs pour qu’ils capitalisent au mieux sur la puissance de calcul qui leur est offerte.

Dans cette course à l’IA, identifiez-vous des domaines d’utilisation particulièrement porteurs ?

Le domaine médical devrait connaître des avancées significatives. De même, les banques et assurances ont pris la mesure de ce que pouvait leur apporter l’IA. À terme, elle investira tous les secteurs y compris la vie quotidienne. Si l’on se risque à la comparaison, l'intelligence artificielle est semblable à Internet il y a 30 ans, les réactions mêlaient doute et fascination. Aujourd’hui, les coupures d’Internet sont handicapantes lorsqu’elles surviennent.

Le marché de l’inférence et du quantique connaîtront aussi un boom. S’il n’existe pas encore de processeur quantique, leur combinaison avec l’intelligence artificielle n’est qu’une question de temps. Et pour aller plus loin sur les nouveautés dans le monde de l’IA, notre traditionnelle conférence annuelle GPU Technology Conference, qui se déroulera du 17 au 21 Mars 2024, devrait réserver des surprises.

L’un des principaux enjeux réside dans l’acculturation autour de l’IA. Bon nombre des utilisateurs d’IPhone ne se rendent même pas compte que Siri était déjà une intelligence artificielle. La formation de professionnels et professionnelles de l’IA est également une nécessité quand le besoin de plus de data scientists se fait sentir dans tous les pays. Avec des mathématiciens, des universités et des écoles d’excellence, la France ne devrait pas manquer de talents dans cette industrie.

Propos recueillis par Léa Pierre-Joseph

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