Laurence Comte-Arassus (Medtronic France) : " Être considérés comme acteur de santé à part entière"
Décideurs. Quels sont vos principaux secteurs d’intervention et vos dispositifs médicaux les plus emblématiques ?
Laurence Comte-Arassus. Tout d’abord, je suis fière d’être présidente d’une société qui est leader de l’innovation technologique de dispositifs médicaux créés grâce à cinq groupes.
Le premier, et le plus connu, le groupe cardio-vasculaire au sein duquel sont développées des innovations comme le plus petit pacemaker au monde ainsi qu’un outil miniature qui permet de diagnostiquer les troubles du rythme cardiaque. L’innovation technologique passe surtout par la miniaturisation.
Le second s’appelle MITG (Minimaly invasive therapies group). Il s’agit des activités que nous avons rachetées lors de l’intégration du groupe Covidien au sein de Medtronic. Il concerne tout ce qui a trait au système digestif, par exemple avec une petite capsule qui s’ingère et permet de radiographier l’intérieur de l’intestin.
Quels sont les autres groupes ?
Le troisième me tient particulièrement à cœur puisque j’ai eu la chance de le diriger pendant cinq ans. C’est celui consacré au diabète où nous travaillons sur les pompes à insuline.
Nous avons également un pôle neurosciences avec des activités extrêmement variées qui vont du rachis à la neurostimulation.
Le dernier groupe est consacré aux solutions. Le pôle IHS (Integrated health solutions). Nous travaillons avec les hôpitaux pour leur proposer des solutions centrées sur le parcours de soin parce que l’innovation ne se réduit pas à la seule innovation technologique, elle s’applique à l’organisation de l’ensemble du système de santé, à commencer par les établissements de santé.
Ces différents secteurs représentent 1 350 personnes en France réparties en cinq lieux : notre siège à Boulogne-Billancourt et nos quatre usines ou centres de R&D près de Valencienne,, près de Lyon, de Grenoble et à côté de Toulouse.
Vous avez coutume de vous présenter comme « citoyenne de la santé ». Que cela signifie-t-il ?
Lorsqu’on m’a proposé il y a quatre ans de présider aux destinées de Medtronic France, j’ai accepté non pour la position mais pour remplir une mission dédiée aux patients. Avant de faire des études d’ingénieure technico-commerciale, je voulais être chirurgien en Afrique. La santé et le fait de s’occuper des autres me tient à cœur depuis très longtemps. Je ne dirige pas Medtronic pour vendre des produits mais pour mettre toute cette innovation au service des patients. Lorsqu’on dirige des sociétés de cette dimension, on se doit de s’interroger sur le rôle à jouer en tant qu’acteur de santé et comment l’on doit participer à préserver une santé pérenne et solidaire. Cette ambition de Medtronic rejoint l’une des miennes. Par ailleurs, si je suis dirigeante de société, je ne suis pas que cela. Je suis également mère de famille. En santé, tous autant que nous sommes, nous sommes un jour ou l’autre aidant. Je n’ai pas que la casquette professionnelle. Ma vie et mes valeurs personnelles sont indissociables de mon activité.
Quels sont les grands axes de stratégies d’innovation et de R&D chez Medtronic ?
L’axe principal d’innovation est la miniaturisation, en gardant à l’esprit en permanence, ce que cela va apporter comme bénéfices aux patients. Nous avons tendance à ne penser qu’aux médecins qui vont être les utilisateurs de nos produits alors que finalement, ce sont les malades qui vont en être les bénéficiaires. L’objectif est aussi de savoir comment les patients vont avoir accès à ces produits. La réforme « Ma santé 2022 », portée par le ministère de la Santé, gagnerait à mettre davantage l’accent sur l’impact de ces innovations technologiques sur les parcours des patients. Il ne pourra pas y avoir de changement profond de la gestion de la santé si les industries de santé ne sont pas prises en considération. Nous avons tout de même été un peu oubliés.
Concrètement, que veut dire mettre le patient au cœur de l’innovation ?
Il existe deux types de bénéficiaires de nos innovations. Le premier, le malade auquel le chirurgien pose un pacemaker, et à qui il explique comment il fonctionne, va vivre avec sans autre intervention. Le second, un diabétique insulino-dépendant sera, lui, utilisateur de nos produits tous les jours. Le diabète est la définition même de la maladie chronique. En tant que tel, le malade devra interagir au quotidien avec nos outils. Et c’est là que se situe une différence fondamentale dans un pays où, il faut le rappeler, il est interdit aux industriels de la santé d’avoir des contacts avec les patients.
Y’a-t-il toujours un intermédiaire médical entre vous et l’utilisateur ?
Oui. Médical ou associatif. Le rôle des associations de patients est important. Nous avons effectué avec elles un travail conséquent de collaboration afin de définir les moyens d’information des malades. Ce sont elles qui peuvent, si elles le souhaitent, relayer aux utilisateurs les bénéfices et les spécificités de nos produits. Mais nous n’avons pas le droit de communiquer sur nos produits alors même que nous sommes ceux qui les connaissons le mieux. En parler directement avec les personnes concernées serait tout de même un progrès.
Concernant justement la formation à l’utilisation de vos produits, comment cela se passe-t-il chez Medtronic ?
C’est un axe extrêmement stratégique. Nous formons les soignants en les accompagnant sur la durée. Ces outils complexes nécessitent des réglages lors de leur mise en place. Un programme spécifique a été développé au niveau européen du nom d’Impact et qui permet une uniformisation de ces programmes de formation et un suivi, de façon à valider leur acquisition et du même coup leur transmission.
Quelle place occupe la France dans ces stratégies d’innovation ?
Nous oscillons entre la deuxième et la troisième place derrière l’Allemagne et, selon les années, devant ou derrière l’Italie.
" Préserver une santé pérenne et solidaire "
Quels sont les principaux freins que vous rencontrez dans leur développement ?
Le premier est de n’être perçu que comme un industriel vendant ses produits. En matière d’innovation, les choix du gouvernement vont dans le bon sens, qu’il s’agisse de « la stratégie nationale de santé 2018-2002 » ou du plan « Ma santé 2022 » consistant à préserver une santé pérenne et solidaire. En visant un accès à l’innovation de la santé pour l’ensemble des patients sans condition de ressources. C’est ce qui fait la force de notre pays.
Mais la tendance est de laisser de côté les industriels au prétexte justement qu’ils sont industriels. Ce que nous demandons, et là je parle aussi en tant que membre du conseil d’administration et du bureau du Syndicat national des technologies médicales (SNITEM), c’est d’être au centre de la discussion dans un esprit de co-construction car nous ne pourrons porter seuls le poids des économies à réaliser. Dans le secteur du dispositif médical, il nous est demandé d’opérer deux fois plus d’économies que l’an dernier. En continuant de la sorte, nous risquons de ne plus pouvoir mettre l’innovation à la disposition des patients, de ne plus avoir d’usines dédiées à l’innovation sur le territoire, et de ne plus pouvoir réfléchir à déployer et développer l’emploi en France.
Quelles contraintes et quelles opportunités identifiez-vous pour Medtronic dans le plan « Ma santé 2022 » et dans la loi de financement de la sécurité sociale du gouvernement ?
Ma nature positive met en avant les opportunités. Avec la volonté d’être efficient, de travailler sur le parcours de soins, de connecter l’hôpital et la ville, tout cela va dans le bon sens. C’est une bonne stratégie d’un point de vue global. Avec une véritable prise de conscience de l’importance d’accélérer l’innovation. D’ailleurs un système permettant de renforcer l’accès précoce à certains produits de santé innovants devrait être mis en place.
Mais la contrainte est de savoir comment tout cela va être mis en œuvre. Il est plus facile de demander aux industriels un doublement des économies que de faire bouger certaines autres structures. Nous ne pouvons être réduits au rôle de variable d’ajustement. Concrètement, il n’est pas raisonnable de vouloir faire porter aux industriels la croissance du vieillissement de la population française telle qu’il nous est demandé de le faire actuellement par une baisse de nos prix.
Medtronic entend contribuer à la transformation du système de santé avec, entre autres, l’ambition de « passer d’une logique de soins à une logique de santé ». Pouvez-vous expliquer cet objectif ?
C’est le travail que nous souhaitons déployer avec l’ensemble des acteurs. Notre volonté est de nous intégrer dans le parcours de soins. En co-construction avec d’autres sociétés, nous avons déposé un article 51 [ndlr : un dispositif permettant d’expérimenter de nouvelles organisations en santé reposant sur des modes de financement inédits] sur le parcours du patient obèse opéré, par exemple. Nous sommes en discussion avec les pouvoirs publiques pour opérationnaliser ce projet. Nous voulons être considérés comme acteur de santé à part entière et pas uniquement comme fabricant.
Propos recueillis par Philippe Labrunie (@PhilippeLabrun1)