Cyril Paglino (Starchain Capital) : « La blockchain est un nouveau paradigme »
Décideurs. Starchain Capital est le premier fonds d’investissement spécialisé dans la blockchain et les cryptomonnaies en France. Ce n’est pas votre première aventure entrepreneuriale. Peut-on revenir sur votre début de carrière ?
Cyril Paglino. Je suis parti en Californie il y a quatre ans pour développer Tribe, une application que j’ai fondée et qui permettait de réaliser des appels vidéos en groupe à la manière de FaceTime (NDLR : l’application a récemment baissé les bras face à la concurrence des géants du Net). On avait levé un peu moins de dix millions d’euros avec des fonds de premier plan comme Sequoia Capital, Kima Ventures ou Partech. Pendant quatre ans au cœur de la Silicon Valley, nous avons énormément appris. En parallèle, je me suis mis à investir dans pas mal de start-up américaines et françaises, notamment par le biais d’un réseau d’entrepreneurs constitué d’une vingtaine de business angels : on peut citer Alexis et Antoine qui ont vendu Zenly à Snapchat ou encore Thibaud Elziere qui a cédé Fotolia à Adobe et qui dirige aujourd’hui eFounders. La plupart du temps, une start-up séduit l’un des membres du réseau et une semaine plus tard, les autres suivent.
À quel moment vous intéressez-vous aux cryptomonnaies et à la blockchain ?
J’ai acheté premiers bitcoins en 2013 et je les ai ensuite revendus en réalisant une belle plus-value. Fin 2015, à Castro Street, le bitcoin est sur toutes les lèvres. Je décide de me pencher sérieusement sur le sujet et me dis qu’il y a bien plus à comprendre derrière la blockchain et le « Web 3 ». Aujourd’hui, 99,9 % du web est centralisé, relié à des serveurs physiques faillibles. On peut les « hacker » ou les endommager assez facilement.
Aujourd'hui, 99,9 % du web est centralisé, relié à des serveurs physiques faillibles
Ce que permet la blockchain justement, c’est la décentralisation du web. Pour schématiser, les utilisateurs, nœuds du réseau, créent et encryptent une connexion à différents points du globe qui leur est propre, et qui peut fonctionner même si l’un des nœuds vient à disparaître. Grâce à ce système, un chinois pourrait se connecter à Youtube alors même que les pare-feux étatiques l’en empêcheraient d’ordinaire. Les cryptomonnaies, ou plus justement les « crypto-actifs », sont des mécanismes de motivation des nœuds du réseau et non des devises, sauf exceptions telles que le bitcoin. En laissant son ordinateur allumé pour faire tourner le réseau, l’utilisateur est rémunéré par une certaine cryptomonnaie et a la faculté de l’échanger sur une plate-forme de trading.
Même à l’écrit, il est difficile de séparer le terme « cryptomonnaie » de « blockchain ». Les deux notions vont-elles toujours de pair ?
Nous n’en sommes encore qu’au début et bien malin qui pourra prédire de l’évolution de ces technologies. Mais il semble qu’il y ait un consensus pour dire qu’une blockchain sera toujours le support d’une rémunération économique exprimée en cryptomonnaie. Cependant, on peut très bien imaginer une blockchain qui fonctionnerait pro bono.
Votre fonds a plusieurs spécificités : c’est le premier millésime, il est thématique et sur un sujet totalement novateur. Autant de caractéristiques qui peuvent compliquer une levée de fonds. Êtes-vous conscient de cette difficulté ?
Bien sûr, ce n’est pas une tâche facile. Avec Andréa et Vincent, mes co-associés, nous avons pris la décision de se structurer autour d’un fonds car nos amis entrepreneurs nous confiaient de plus en plus d’argent à investir dans des projets « crypto ». Aujourd’hui, les 9,5 millions d’euros sous gestion proviennent essentiellement de cette poche. On y retrouve l’un des membres fondateurs de Tinder ou des employés de la première heure de Google et de Facebook. Le ticket d’entrée moyen est compris entre 100 000 et 500 000 euros. Actuellement, nous nous tournons vers des groupes industriels et des personnes encore plus fortunées afin de recueillir des engagements plus substantiels. Si l’on se débrouille bien, dans huit ou dix mois, nous gérerons environ trente ou quarante millions d’euros.
Si l’on se débrouille bien, dans huit ou dix mois, nous gérerons environ trente ou quarante millions d’euros
Ce qui reste une bouchée de pain comparé aux spécialistes américains. C’est le premier fonds dédié à la blockchain en France donc nous devons garder la tête sur les épaules et faire nos preuves.
La réalisation d’un deal « crypto » prend-elle autant de temps qu’une levée de fonds pour une société « tech » généraliste ? On imagine une analyse pointue tant les sujets sont novateurs et complexes.
Pour un deal ordinaire, en une heure, une heure et demi, vous vous faîtes votre conviction du business et vous vous voyez investir ou non. Sur nos dossiers, on passe facilement une vingtaine d’heures à se forger une opinion sur l’intérêt et la valeur d’une start-up. Les protocoles sont très techniques et la lecture des codes très ardue. Mes associés, ingénieurs de formation, passent beaucoup de temps à comprendre le code source.
Quelles sont les ressources à disposition pour s’informer sur l’activité foisonnante des cryptomonnaies et, à terme, cibler les plus belles opportunités de deals ?
Github, la plate-forme de développement logiciel, est une source importante de projets « crypto ». Ensuite, il faut citer Twitter qui, alimenté en conseils et commentaires d’investisseurs « tech » parmi les plus brillants de la planète, offre un accès à un précieux contenu. Il n’est donc pas nécessaire d’être dans la Silicon Valley pour rester au plus près de l’actualité « crypto », bien que cela soit mon cas pour la majeure partie de l’année.
Quels sont les porteurs de projets « crypto » ?
La France a un rôle à jouer dans le domaine grâce à ses écoles d’ingénieurs. Aujourd’hui, il n’y a qu’une centaine de développeurs au monde capables de coder le bas niveau de la blockchain.
Aujourd’hui, il n’y a qu’une centaine de développeurs au monde capables de coder le bas niveau de la blockchain
Les entrepreneurs de la « crypto » sont essentiellement des professeurs et des mathématiciens brillants. Exemple très frappant, la directrice du département « Cryptographie » de Berkeley vient d’enrôler les meilleurs étudiants des dernières promotions de l’école pour l’aider à lancer son entreprise.
Vous avez déjà investi dans quatre startups. Comment voyez-vous la composition de votre portefeuille à terme ?
En réalité, nous avons investi dans six entreprises mais nous n’avons communiqué que sur quatre d’entre elles : Orchid Lab (navigateur web décentralisé), FOAM Protocol (GPS décentralisé), Basis (un stable coin créé par des anciens de Google) et PolkaDot (un protocole cross-chain). L’objectif est de déployer 30 % de notre fonds au capital de participations. Le reste des liquidités sera utilisé à travers une politique de trading (bitcoins, ethereum etc.) nous permettant de générer des revenus annuels pour nos souscripteurs. Sur un marché aussi liquide que celui des cryptomonnaies, on ne fait pas de performance sans trading.
En quelques mots, quel sera l’impact de la blockchain sur la société telle que nous la connaissons aujourd’hui ?
La décentralisation de l’Internet induite par la blockchain est un nouveau paradigme. Certains spécialistes pensent que tous les services seront « tokenisés » d’ici à vingt ans. Une voiture sera rattachée à un token sur la blockchain et on pourra consulter son historique en un clin d’œil (fabrication, transactions, réparations…). Pour les commerçants, la blockchain ne sera pas seulement un moyen plus rapide et plus sécurisant pour mener leurs activités : ce sera aussi moins cher. Prenez Airbnb. La plateforme prend 30 % de commissions sur chaque location. Demain, un service similaire sur la blockchain permettra de rapprocher ces frais de zéro.