Départ de Gérard Collomb : le roi est nu ?
18 minutes. C’est le temps qu’a passé Gérard Collomb à attendre Édouard Philippe pour sa passation de pouvoir mercredi 3 octobre. Un grand moment de solitude pour un homme qui aura mis son réseau et sa connaissance du terrain au service d’Emmanuel Macron qui lui doit beaucoup. En ce jour spécial, c’est le Premier ministre qui a occupé le rôle de ministre de l’Intérieur. Une forme d’intérim jamais vue dans l’Histoire de la Ve République. Cette situation donne à la France entière un sentiment de cafouillage et d’improvisation à la tête de l’État. Le départ de ce marcheur de la première heure était pourtant attendu. Impossible pour lui de cumuler casquette de candidat à la mairie de Lyon et képi de premier flic de France.
Un problème RH plus que politique ?
Pourtant, le Président n’a pas pu sortir immédiatement un homme de sa manche. Une situation qui met en évidence un problème inhérent au sein de la Macronie : le manque de forces vives prêtes à accéder à de hautes responsabilités. « Etre ministre de l’Intérieur demande des connaissances techniques très pointues, des talents diplomatiques, mais aussi une réelle envergure politique pour dialoguer avec les élus locaux. Des capacités que possédait Gérard Collomb », estime Virginie Martin chercheur en sciences politiques, fondatrice du think tank Different et enseignante à Kedge Business School. Emmanuel Macron ne pourra donc pas se reposer sur un simple marcheur loyal ou sur un spécialiste de la sécurité issu de la société civile tel que François Molins ou Frédéric Péchenard dont les noms sont parfois évoqués. En somme, il lui faut trouver le « mouton à cinq pattes ». Et c’est là que le bât blesse.
Selon Virginie Martin, le président de la République souffrirait d’un problème de ressources humaines. « Avec la démission d’un marcheur historique, une réalité cruelle semble poindre : il y a un problème de vivier et de talents en interne puisque personne ne se détache clairement. L’idéal aurait été Manuel Valls. Mais le président n’a pas souhaité s’appuyer sur lui et il a quitté la politique française en ayant le sentiment d’avoir été placardisé. Dommage, il était compétent et aurait apporté beaucoup », souligne Virginie Martin.
Un avis que ne partage pas Sarah El Hairy, députée Modem de Loire-Atlantique : « Darmanin, Castaner, Le Drian, il existe beaucoup de personnalités de qualité pour prendre la tête de la Place Beauvau, même si aucun nom ne se détache clairement ». L’élue centriste considère que cette période de transition est tout à fait normale : « Dans bien des cas, des postes de ministres restent vacants plusieurs jours. La situation actuelle n’empêchera pas l’administration de fonctionner ni les Français d’être protégés ».
Un Président isolé ?
Avec le départ de Gérard Collomb, l’exécutif perd son second ministre d’État en moins de deux mois. Le Président a donc perdu en peu de temps deux personnalités capables de contester ses choix, de le contredire et de l’influencer en privé. « C’est une situation politique préoccupante puisque plus les mois passent, plus le chef de l’État prend le risque d’être isolé, emprisonné dans une tour d’ivoire. En somme, le système est plus que jamais ultra-vertical avec un Premier ministre effacé, un président de l’Assemblée nationale aux ordres et une majorité soumise », s’inquiète Virginie Martin qui pointe une personnalisation de la vie politique. Une situation à l’opposé de l’intelligence collective que laissait espérer le nouveau monde…
Pour Sarah El Hairy, le départ de Gérard Collomb est plutôt la preuve d’une démocratie en bonne santé. « Il a tout simplement voulu faire preuve de transparence en annonçant officiellement qu’il serait candidat à la mairie de Lyon, ce qui était un secret de polichinelle. Et il est intenable d’être ministre et candidat ce qu’il a très bien compris. C’est là que l’on constate que nous sommes dans un nouveau monde puisqu’avant les ministres menaient des campagnes locales sans que cela dérange », explique Sarah El Hairy qui reste convaincue que ce départ n’est donc pas une défiance contre le Président ».
Au contraire, il est probable qu’à moyen terme Emmanuel Macron soit gagnant. « La République en Marche manque de poids lourds dans les ministères mais aussi de relais dans les territoires. Gérard Collomb en est un. Et il ne critiquera pas l’exécutif avant les municipales car il est dans le même bateau. Ce qui peut s’avérer stratégique dans l’optique des élections municipales ». Peut-être. Mais pour le moment Jupiter semble bien seul...
Lucas Jakubowicz