N'opposez par les IPO aux ICO, pas plus que les ICO face aux fonds de venture! Pour Bernard-Louis Roques, co-fondateur de Truffle Capital, les trois modes de financement vont coexister et servir les jeunes entreprises technologiques en fonction de leurs besoins. Pour l'heure, Truffle Capital signe la première ICO d'une société soutenue par un fonds dans l'Hexagone.

 

Dealmakers. MoneyTrack, l’une de vos participations, est en cours de levée de fonds « ICO ». C’est une opération inédite pour une société soutenue par un fonds en France. Quel est l’objectif ?

Bernard-Louis Roques. Le monde de la finance oppose souvent les VC (Venture Capital en anglais, capital-innovation) au processus d’ICO (Initial Coin Offering en anglais, levée de fonds en échange de tokens). De nombreux observateurs estiment que le métier de VC sera transformé, voire éliminé par l’avènement des ICO, une sorte de financement désintermédié pour les jeunes sociétés innovantes. Ce n’est pas notre opinion et nous entendons démontrer avec MoneyTrack que VC et ICO peuvent faire bon ménage.

Notre participation, MoneyTrack, fait du paiement dirigé. Cela permet, par exemple, à une compagnie d’assurances d’indemniser rapidement un client lors de la perte de son téléphone mobile avec une monnaie frappée d’un « coin » ne pouvant être utilisée que pour racheter un produit identique. Les applications peuvent être diverses bien sûr. À l’origine, MoneyTrack est un projet incubé au sein de Truffle Capital. Développée par une équipe de scientifiques, l’activité est intimement liée à la blockchain : si le même client rachète un nouvel appareil, toutes les informations seront cryptées afin que l’assureur, le fabricant, le distributeur et bien sûr le particulier n’aient pas à s’inquiéter de la confidentialité et de la fiabilité de l’opération. La fraude est aussi limitée car l’assuré ne pourra pas utiliser l’indemnité pour autre chose que le produit à remplacer.

L’ICO est un risque financier et de réputation. Pourquoi croyez-vous autant dans l’ICO de MoneyTrack ?

MoneyTrack est une société brillante. Nous l’avons récemment financée et elle a les reins solides pour conduire sa R&D. Nous avons choisi la voie de l’ICO car c’est un protocole. Il est ouvert sur le monde. Supposons qu’un assureur à Hong Kong rencontre une problématique sur laquelle travaille MoneyTrack, il pourra recevoir, en contrepartie de son financement, des tokens qui lui permettront de se brancher sur ce protocole et de contribuer à l’élaboration de la solution. Ces jetons numériques, en fonction de leur volume d’échanges, auront une valeur plus ou moins élevée. Finalement, nous pensons que l’ICO est l’outil financier idoine pour asseoir le développement d’une entreprise tant elle implique l’ensemble des partenaires dans le processus de création de plateforme.

Existe-t-il un marché secondaire de l’ICO ? Peut-on échanger facilement ses tokens ?

La société émettrice des jetons numériques doit s’assurer qu’elle est référencée par des plateformes de listing de tokens dans différentes régions du monde. Ces « bourses » d’un nouveau genre ne sont pas encore nombreuses mais elles connaissent un fort développement.

L’ICO est-elle faite pour tout type de société ?

Cela dépend des cas. Telegram, qui a levé plus de 850 millions de dollars, aurait pu faire le choix d’une IPO ou d’une levée de fonds auprès de VC late-stage. Ils n’auraient d’ailleurs eu aucun problème à négocier des conditions avantageuses au vu de leur réputation. Pourtant, ils ont préféré rester dans l’univers Blockchain-ICO. De plus en plus de pépites vont se passer du venture pour consolider leur plateforme financière et technologique.

N’est-ce pas une menace pour votre activité de VC à terme ?

Dans une certaine mesure, l’ICO est un danger pour le métier de VC. Mais ce choix de la désintermédiation n’intervient que s’il n’y a pas de valeur ajoutée par ailleurs. Or, chez Truffle Capital, nous soutenons les sociétés dès leur création. Outre l’argent, notre réseau, nos compétences techniques et notre expérience aident nos participations à atteindre des tailles critiques qui leur permettront peut-être, un jour, d’envisager une ICO. En tout état de cause, les VC doivent se remettre en question dès maintenant et s’assurer de leur caractère indispensable. À terme, les IPO, ICO et VC pourront coexister et servir des besoins variés. 

Quelle est la nature de votre dialogue avec l’Autorité des marchés financiers ?

Les discussions sont bonnes notamment parce que l’AMF a une approche pragmatique des ICO. Et au cas par cas, elle délivre des certifications.

 

@ Firmin Sylla

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