Souffrant d’une image sulfureuse, le secteur des jeux de hasard est extrêmement régulé et les acteurs les plus dynamiques peinent à innover dans ce contexte contraint. Maurice Schulmann, directeur marketing du Groupe Partouche, fait partie de ceux refusant ce statu quo. Avec le lancement d’une application mobile gratuite, il secoue cet univers vieillissant et nourrit de grandes ambitions.

Décideurs. Avec le Groupe Partouche, l’un des leaders européens sur le marché des casinos, vous venez de lancer une application mobile. Quelles sont les caractéristiques de ce produit ?

Maurice Schulmann. « Partouche Casino Games » est une application qui permet aux joueurs de retrouver, sur leur smartphone, l’expérience exaltante des casinos physiques. Les machines à sous et les parties de blackjack sont ainsi disponibles partout et pour le plus grand nombre. Notre slogan « Jouez gratuitement, gagnez vraiment » rappelle qu’aucune contrepartie financière n’est attendue de la part du client, que ce soit au moment du téléchargement de l’application ou du jeu lui-même. En France, les jeux de casino en ligne payants sont illégaux et nous ne pouvons pas demander à nos clients de déposer de l’argent ou de réaliser des micropaiements pour avancer plus vite dans le jeu, à la manière de Candycrush. Si les joueurs à court de jetons souhaitent en obtenir de nouveaux, ils doivent simplement visualiser de la publicité. Pour les plus chanceux, on « gagne vraiment » car en accumulant les Partouche d’or, notre monnaie virtuelle, il est possible de choisir de véritables cadeaux à retirer dans un casino Partouche. Ce fonctionnement nous permet de ne pas menacer le monopole légal de la FDJ, seule entité autorisée à organiser des jeux d’argent en ligne.

Quelles sont vos ambitions pour cette application ?

Ce projet est un levier essentiel de notre stratégie drive to store. À travers Partouche Casino Games, nous avons la possibilité de recruter des prospects ayant manifesté une appétence pour notre gamme de produits récréatifs. Ainsi, nous ne dispersons pas nos efforts vers une population dont les goûts ne correspondraient pas à notre offre. Les gagnants, invités à venir récupérer leurs lots dans des casinos physiques, vont générer du trafic et du lead dans nos établissements classiques. Nous accroissons par ailleurs notre visibilité, notamment sur le store d’applications Apple et Android grâce à une application grand public. Enfin, ce produit, simple en apparence, représente un lien original entre la marque Partouche et nos clients et prospects. Notre présence en ligne était jusqu’à présent limitée à des pages Facebook ou des pages vitrines pour certains jeux d’argent. Aujourd’hui, nous consolidons dans la sphère digitale la relation entre le groupe et ses clients, souvent créée au sein des casinos physiques. Les échanges et les interactions vont se multiplier pour notre plus grande satisfaction.

« En multipliant les produits digitaux, nous allons faire évoluer l’image du groupe et créer une importante préférence de marque »

Est-ce aussi un moyen d’attirer une clientèle plus jeune vers vos services ?

Le digital rassemble une population très variée, y compris des jeunes. Pour pérenniser notre activité, nous ne pouvons pas conserver notre cœur de cible actuel, assez vieillissant il est vrai, notamment pour les machines à sous. Nous faire connaître et apprécier des trentenaires : voilà un objectif décisif du groupe. Cette population n’éprouve pas de désaffection pour nos activités mais ressent une inadéquation entre ses attentes et nos produits. Nous y travaillons et l’installation il y a trois ans de roulettes électroniques dans nos casinos nous a déjà permis d’attirer une clientèle dans cette tranche d’âge. Notre application mobile gratuite s’inscrit aussi dans cette démarche marketing visant à répondre à ces nouveaux besoins. En multipliant les produits digitaux, nous allons faire évoluer l’image du groupe et créer une importante préférence de marque. Lorsque quelqu’un pense à un casino, la marque Partouche doit s’imposer à l’esprit.

Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de vous aventurer dans la sphère digitale ?

Notre groupe est très dynamique depuis plus d’une dizaine d’années dans le digital. En 1999, nous avons lancé notre premier casino en ligne, à une époque où ni l’Arjel [NDLR : l’autorité de régulation du secteur], ni la législation sur les jeux en ligne n’existaient. L’État français est alors venu nous dire que si nous ne fermions pas ce site internet, les casinos physiques pouvaient être eux aussi bloqués. Les pure players comme Winamax, Pokerstars ou Betclic ont été plus libres dans leur stratégie de développement. Après avoir perdu plusieurs millions d’euros dans le digital, notamment en tant que détenteur de licence de poker en ligne, nous nous sommes restructurés en arrêtant cette activité et recentrés sur notre cœur de métier. À présent, notre situation économique est saine et notre stratégie numérique s’est affinée. Les initiatives digitales n’ont une utilité qu’à partir du moment où elles servent les établissements physiques.

Ces activités numériques pourront-elles représenter un levier de croissance, générant un chiffre d’affaires propre ?

Plus de douze mois de gestation ont été nécessaires pour mettre au point cette application qui nous permet, entre autres, de générer d’importantes données sur nos prospects et de mieux connaître les attentes de nos clients. Si l’État nous permettait demain de transformer la monnaie gratuite de notre application en monnaie payante, nous le ferions tout de suite. Les dépenses substantielles consenties pour ce projet relèvent davantage de la communication que du pur commercial, aux résultats immédiats. L’opération ne sera pas rentable mais elle n’est pas non plus menée à fonds perdus pour ne faire que de l’image.

Chiffres clés du Groupe Partouche : 

1973 : année de création du groupe. Partouche fêtera ses 45 ans en 2018.

406,9 millions d’euros : chiffre d’affaires annuel généré en 2017 par le groupe Partouche (80 % de ce résultat est lié aux activités casinos)

43 : casinos exploités par le groupe en France, Belgique, Suisse et Tunisie

4 200 : collaborateurs du Groupe Partouche

Contre quels concurrents devez-vous lutter pour préserver votre attractivité auprès du public que vous visez ?

Une idée fausse continue de circuler concernant les casinos. Ces lieux n’accueilleraient que des élites dépensant plusieurs milliers d’euros par soir. Or, notre public est populaire et toutes les couches de la population majeure se retrouvent dans nos établissements. Le panier moyen de nos clients se situe entre 50 et 80 euros. Du point de vue financier, nous sommes donc en concurrence directe avec les salles de cinéma, les organisateurs de concerts, les théâtres ou les restaurants. Nous proposons de plus en plus de divertissements au sens large avec les autres activités du groupe, et certaines passerelles menant aux machines à sous restent à exploiter.

Comment se porte le marché du jeu en France aujourd’hui ?

À peine 20 % de la population française majeure se rend au casino au moins une fois dans sa vie. Nous sommes positionnés sur une niche. Pourtant, si l’on se fie aux chiffres des monopoles d’État du jeu (FDJ et PMU), la France n’a jamais autant joué qu’aujourd’hui. Notre défi principal est de séduire ces populations, ayant l’habitude de placer une quotepart de leurs revenus dans leurs loisirs et dans les jeux de hasard. Si nous parvenons à les convaincre de venir au casino pour s’amuser autrement, notre mission sera remplie.

La dépendance aux jeux, bien identifiée par les pouvoirs publics et les psychologues, est-elle un frein au lancement d’initiatives marketing dans votre secteur ?

Depuis douze ans que j’occupe ce poste, j’ai pu développer des automatismes avec le temps ! L’activité casino est l’une des plus réglementées en France. Avec la délégation de service public dont nous bénéficions, l’État français est plus chez lui dans nos casinos que nos dirigeants eux-mêmes. Cependant, nous dépendons du droit commun pour nos projets marketing. Cela signifie que nous pouvons mener les mêmes opérations qu’un supermarché par exemple. Seule restriction, le bandeau prévenant des risques d’addiction est obligatoire dans notre communication. Notre problème majeur est davantage lié à l’image renvoyée par les casinos dans l’imaginaire collectif. Ces établissements de jeux sont les seuls en France où les visiteurs sont systématiquement contraints de décliner leur identité à l’entrée. Les contrôles y sont plus fréquents qu’à l’aéroport de nos jours ! Une connotation négative se dégage de ces contrôles et l’on se dit rapidement qu’il doit se passer des choses bizarres à l’intérieur si je dois montrer patte blanche à l’entrée. Le tabou autour du casino demeure très important alors que notre groupe, coté en bourse, nous impose une transparence maximale et une obligation de publications importante. Le fantasme du blanchiment d’argent peut être battu d’un revers de manche avec les informations publiées. Combattre les idées reçues plutôt que le régulateur est ma priorité.

Quels sont les autres obstacles marketing à surmonter pour les groupes spécialisés dans les jeux d’argent ?

Il peut y avoir certains problèmes avec des médias comme Google, capables de censurer des campagnes Adwords car des raccourcis intellectuels sont établis entre les casinos et certaines activités illicites. De même, Waze refuse de diffuser de la publicité pour les casinos physiques. Cela ne repose sur aucun fondement rationnel. Pour m’expliquer leur décision, ils m’ont envoyé un extrait des CGU où les activités de casinos sont associées au proxénétisme, à la vente de drogue et d’armes… Des activités parfaitement illégales. 

Comment comptez-vous faire évoluer l’expérience de jeux dans vos établissements dans les prochaines années ?

Les clients dans les casinos ne sont pas là que pour gagner. Ils cherchent du lien social, des émotions. Au-delà de l’expérience du gain, le client se déplace pour obtenir du temps de jeu et pour se divertir. Nous devons donc proposer plus de divertissements autour de nos jeux classiques afin de créer la différence et in fine, la préférence pour nos établissements. Les activités en réalité virtuelle, présentes depuis déjà trois ans, participent au renouveau de nos offres. Nous nous définissons comme des vendeurs d’adrénaline, et c’est le client qui en fixe le prix. À nous de créer une expérience à 360 degrés.

 

Propos recueillis par Thomas Bastin (@ThBastin)

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