La démarche de Canal + correspondait à une logique d’entreprise, celle du Qatar à une stratégie géopolitique internationale dans le sport
Décideurs. Les acteurs du sport en France n’ont pas la même maturité économique que les Anglo-Saxons, comment l’expliquez-vous ?

Vincent Chaudel.
Les valeurs de l’amateurisme chères à Pierre de Coubertin sont profondément ancrées dans la mentalité française, où règne la conviction que l’argent pervertit le sport. D’autre part, la France est un pays centralisateur, ce qui explique le fait qu’il n’y ait qu’un club de football par ville, contrairement à l’ensemble des grandes villes européennes qui peuvent, elles, faire jouer l’émulation. Ces deux éléments expliquent en partie que la démarche professionnelle du monde du sport en France soit plus récente : il y a trois ans, notre étude « Football Professionnel – Finances & Perspectives » a montré que sur cent clubs de football anglais, cinq n’avaient pas encore de politique de CRM , quand en France cinq en tout ne faisaient qu’y penser… Mais pour attirer les capitaux privés, le sport doit d’abord se structurer et s’organiser pour monétiser son audience. Aujourd’hui en retrait ne serait-ce que par rapport à l’Allemagne, espérons que le sport féminin en France sache saisir les opportunités de médiatisation, à l’image des Bleues, pour structurer leur audience et se développer.

Décideurs. Quelle corrélation peut-on établir entre réussite économique et performance sportive ?

V. C. Chaque année, notre étude FPFP confirme qu’une telle corrélation existe. Les clubs du top 20 sportif de l’UEFA sont tous situés dans de grandes agglomérations de un à quatre millions d’habitants et plus. Un important bassin de population crée d’importantes opportunités : potentiels spectateurs et donc potentiels sponsors intéressés également par les possibilités d’hospitalité pour leurs clients et prospects. Cela représente à son tour des moyens financiers supplémentaires pour les clubs en termes d’achat de joueurs. Se met en place la dynamique d’un cercle vertueux. L’arrêt Bosman a également joué un rôle important dans le sens où l’on a quitté une compétition de modèles. Il paraît aujourd’hui clair que l’argent est la conséquence d’une dynamique fondée sur une zone de chalandise peuplée, entraînant l’accès à plus d’argent, donc plus de bons joueurs pour plus de performance sportive.

Décideurs. Comment rééquilibrer le modèle économique du football français, très dépendant des droits TV ?

V. C. Les droits TV représentent 50 à 60 % des revenus du football français… Un rééquilibrage est nécessaire et doit s’appuyer sur l’accroissement des recettes de la billetterie fondé d’abord sur le potentiel de public. Se pose ensuite la question du palmarès, de l’histoire et de la performance du club : est-il attractif ? Ensuite, le stade est-il à même de servir les desseins d’accueil ? Enfin, il faut mettre en place une politique d’attraction et de fidélisation du public, ce qui est d’autant plus difficile que l’intérêt n’est pas stimulé par l’existence d’une compétition entre équipes locales.

Décideurs. Peut-on comparer la démarche du Qatar à celle de Canal + en son temps ?

V. C. La démarche de Canal + correspondait à une logique d’entreprise : l’investissement dans le PSG représentait une présence dans un championnat au service de son core business et la création d’abonnements. La logique d’investissement du Qatar dans le PSG est comparable dans le sens où cela lui permet d’investir dans un club important, capable de figurer en Champions League à moindre coût par rapport à ce que cela représenterait pour un club anglais. En revanche, cet achat n’est qu’un des éléments dans une stratégie sportive plus vaste. Le Qatar a des pions au CIO, et s’il a été malheureux avec sa candidature à la présidence de la Fifa – il a tout de même remporté l’organisation de la Coupe du monde en 2022, il est à la tête de l’association asiatique (AFC) et présent dans des grands clubs comme le Barça (Qatar Fondation, sponsor maillot pour plus de 30 millions par an). La chaîne qatariAl Jazira Sport est présente dans le monde entier avec des droits dans beaucoup de sports. Dans ce cas, on parle davantage d’une stratégie géopolitique internationale dans le sport.

Décideurs. Quel sont les effets à attendre du fair-play financier mis en place par l’UEFA ?

V.C. Les motivations du fair-play financier ne peuvent être remises en question. Il veut garantir l’équité sportive à travers l’équilibre financier : on ne peut qu’être d’accord avec son objectif d’éviter les excès. En revanche, on peut craindre que, malgré tout, si la compétition est assainie financièrement, elle ne se polarise en favorisant les clubs déjà les plus avantagés dans ce domaine. Les clubs les plus riches auront toujours les moyens de s’offrir les meilleurs joueurs, le fossé risque de se creuser encore plus.

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