Stratégie ou off : la France est en retard
Entretien avec Ted Stanger, journaliste et essayiste américain, auteur de Mister President, Lettre ouverte à Barack Obama (Editions Michalon, 2009).
Décideurs : Comment expliquez-vous l’importance prise aujourd’hui par le off ?
Ted Stanger : En France, la politique autour de la parole domine. Chacune de ses syllabes est mise en relief. Les lois votées sont d’ailleurs rarement appliquées et restent souvent des coquilles vides. Elles traduisent cette volonté de communiquer, mais restent bloquées par la bureaucratie.
Les Français accordent un pouvoir inouï à la parole. Ils acceptent néanmoins que des lois la restreignent, dès lors que l’on s’adresse à une communauté ou à une minorité.
C’est la raison pour laquelle les journalistes utilisent de plus en plus le off. Aux Etats-Unis, on a compris depuis bien longtemps que cela pouvait être utile. Les politiques commencent à sasir son importance. Ils ajoutent au discours on, cadré, policé et structuré, un discours off, plus libre, plus intime mais tout autant réfléchi ! L’homme politique sait que les caméras tournent toujours et peut ainsi montrer qu’il est un homme comme les autres.
Les politiques français viennent à peine d’entrevoir son intérêt. Ils doivent désormais apprendre à l’utiliser. Brice Hortefeux, après l’affaire du journaliste au Monde, Mustapha Kessous [NDLR : Le ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale à l’époque reçoit le journaliste pour parler des grèves de sans-papiers dans des entreprises. Il lui tend la main, sourit et lâche : « Vous avez vos papiers ? » Le Monde, 23.09.2009], doit l’étudier sérieusement.
Décideurs : N’assiste-t-on pas cependant à une forme de totalitarisme de la transparence en communication ?
T. S. : La France est en retard. Aux Etats-Unis, ça ne choque plus personne ! Si des politiques comme Jean-Luc Mélenchon ou Olivier Besancenot refusent encore de dévoiler leur vie privée, force est d’admettre qu’ils devront en passer par là. D’ailleurs, Besancenot n’a-t-il pas participé à l’émission Vivement Dimanche ?
Toutefois, il ne s’agit pas de totalitarisme, car les politiques conservent un champ d’action libre. La France, en dépit de la possibilité de manifester, ne connaît guère de démocratie directe. A l’image de la pensée républicaine, je pense qu’on désigne un homme politique sur son caractère. Les électeurs souhaitent un personnage à la vie plutôt tranquille. N’oublions pas qu’il possède l’arme atomique.
Si Thomas Eagleton n’a été candidat démocrate à la vice-présidence des États-Unis en 1972 pendant si peu de jours et qu’il a du céder sa place immédiatement, c’est uniquement parce que la presse a dévoilé ses séjours à trois reprises dans un hôpital psychiatrique. Au fond, tout le monde se demande quel homme est derrière le personnage politique.
Décideurs : A terme le message politique ne risque-t-il pas d’être réduit au simple mot et au simple mouvement ?
T. S. : La France est une économie libérale qui s’ignore. Elle ne croit en effet plus qu’aux slogans du genre « solidarité ».
Les politiques entretiennent des jeux de rivalité, mais demeurent extrêmement consensuels dans leur forme, si bien que les différences entre les partis s’estompent. La gauche privatise, Nicolas Sarkozy tangue entre les deux bords et Chirac parlait comme un gauchiste. Au risque de choquer les classiques et traditionnels de la pensée politique, les décideurs sont dorénavant contraints de se différencier par l’apparence et la forme physique.
Là encore, les États-Unis entretiennent depuis bien plus longtemps dans cette confusion. Le clivage démocrate-républicain est infime. La télévision joue par ailleurs un rôle primordial dans cette distinction par l’aspect extérieur. La seule chose dont se rappellent les téléspectateurs américains du débat télévisuel en 1960 entre Kennedy et Nixon est la couleur de leur chemise.