Il est le premier créateur de jeux vidéo décoré de la légion d’honneur. Fondateur de Quantic Dream, David Cage a toujours privilégié le récit dans la conception de ses jeux vidéo. Aujourd’hui, son studio est le leader de la motion capture en Europe. Rencontre avec l’homme du pixel émotionnel.
Décideurs. Revenons sur l’histoire de David Cage…

David Cage.
J'ai commencé des études de sciences économiques que je n'ai pas terminées, avant d'aller vers le domaine de la création musicale au début des années 1990. Étant un passionné de jeux vidéo de la première heure, je me suis rapidement intéressé à la conception de musique pour ce nouveau média, au moment de l'arrivée du CD-ROM. Cela m'a permis de découvrir le jeu vidéo « de l'intérieur ». Après quelques années, j'ai décidé avec quelques amis de travailler sur un prototype d'un concept que j'avais imaginé, prototype que nous avons ensuite vendu à l'anglais Eidos, l'éditeur du célèbre Tomb Raider, et c'est ainsi qu'a commencé Quantic Dream. Aujourd’hui, notre studio emploie deux cents personnes environ, toutes basées à Paris. Nous avons un partenariat avec Sony depuis 2006 pour développer nos jeux en exclusivité sur les consoles Playstation.

Décideurs. Comment l'autodidacte que vous êtes est-il devenu un leader sur le marché du jeu vidéo ?

D. C.
À une époque où l'essentiel du marché - et c'est encore grandement le cas aujourd'hui - était focalisé sur les jeux d'action violents, le studio s’est positionné dès sa création sur un segment innovant, celui des jeux racontant des histoires interactives. Notre volonté était de créer une expérience immersive, une histoire dont le joueur est le héros, à destination d'un public plus adulte. C'était clairement un pari. Cette approche étant totalement abandonnée à l'époque, il était très incertain qu'elle puisse convaincre un nombre suffisant de joueurs pour être rentable. Nous avons dû dépasser un très grand nombre d'obstacles industriels et créatifs, sans parler du marché qu'il a fallu évangéliser. Notre choix pour ce segment clair où la compétition était faible explique probablement que Quantic Dream existe depuis bientôt dix-huit ans. Nous avons toujours persévéré dans la voie que nous avions choisie sans jamais nous laisser distraire par les tendances du moment qui ont emporté tant de studios. Jeu après jeu, nous creusons notre sillon et continuons d'affirmer notre différence, ce qui nous vaut une communauté de joueurs très fidèles.

Décideurs. Quels ont été les grands marqueurs de l'innovation au sein du studio ?

D. C.
Avant tout, une vision différente du média. Nous pensons que le jeu vidéo peut être porteur de sens, fascinant, surprenant, régi par d'autres règles et créé par des développeurs indépendants. Cette rupture créative s'accompagne pour nous d'une rupture technologique. Depuis plus de quinze ans, nous travaillons avec une équipe de cinquante ingénieurs dans le développement de technologies propriétaires. Nous sommes devenus l’un des principaux studios de capture de mouvement (motion capture) en France et en Europe. Nous investissons la majeure partie de notre bénéfice dans la recherche et le développement pour améliorer nos prochains jeux, un risque permanent mais aussi une nécessité pour continuer à exister.

Décideurs. « Le jeu vidéo est la première industrie culturelle dans le monde, et la France doit tirer son épingle du jeu », a récemment déclaré Frédérique Bredin, présidente du CNC. Comment le jeu video made in France peut-il relever ce challenge ?

D. C.
Il faut faire revenir les talents français en France. Beaucoup se sont expatriés notamment au Canada ces dernières années. Il s’agit de convaincre les investisseurs et les entrepreneurs de rester, en expliquant qu'il est possible de réussir dans ce pays, même si c'est probablement un peu plus difficile qu'ailleurs. Il est important que les pouvoirs publics continuent de soutenir notre secteur qui est un formidable vecteur de croissance et un réservoir d'emplois. La formation technique et artistique doit continuer d'élever son niveau, car dans le monde entier des écoles rivalisent d'efforts. Dans le jeu vidéo comme dans d'autres domaines, c'est l'audace, le courage et l'innovation qui permettront à la France d'exister. Notre pays a des arguments, un certain nombre de boulets aux pieds, mais je continue de croire qu'il est possible de jouer un rôle majeur dans le jeu vidéo comme dans l'industrie des nouvelles technologies en général.

Propos recueillis par Alexandra Cauchard

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