Entourée du plus grand secret, la nomination de Delphine Ernotte-Cunci pour diriger le groupe public a cristallisé critiques et soupçons.
« Moi président de la République, je n’aurai pas la prétention de nommer les présidents des chaînes publiques, je laisserai ça à des instances indépendantes. » L’engagement du candidat Hollande en 2012 a été suivi d’effets, une fois celui-ci arrivé à l’Élysée. Alors que Nicolas Sarkozy avait lui-même recommandé le nom du président sortant de France Télévisions, Rémy Pflimlin, la loi du 15 novembre 2013 confie désormais cette nomination au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Pour éviter tout soupçon de collusion, cette loi applique le principe de transparence aux nominations des patrons des grandes entreprises publiques. Un principe cher à François Hollande.

Vous avez dit « transparence » ?

C’est à la majorité des voix que les huit membres du collège du CSA élisent le président de France Télévisions. Pour se prémunir de toute critique, ceux-ci expliquent que la nomination doit faire l’objet d’une « décision motivée se fondant sur des critères de compétence et d’expérience ». La procédure prévoit que les candidatures peuvent être déposées de manière ouverte ou secrète afin de permettre aux dirigeants en poste de déposer un dossier sans s’exposer.

Au début du mois d’avril, ce ne sont pas moins de trente-trois candidatures, dont dix connues du public, qui s’empilaient dans les bureaux du CSA. Parmi elles, une majorité de profils sérieux. Et d’autres beaucoup moins comme celui de Cyril Hanouna, présentateur vedette sur D8 et animateur radio, dont la candidature ressemblait davantage à une blague qu’à un réel plan de carrière. De cette liste de trente-trois personnes, le CSA n’en a retenu que sept.

C’est à partir de cette étape, dont on ignore tout, que les premières critiques se sont élevées. L’éviction de certains candidats comme Marie-Christine Saragosse (présidente de France Médias Monde) ou Emmanuel Hoog (P-DG de l’Agence France Presse) a fait grincer des dents. À juste titre, puisque le choix s’est fait sans audition préalable comme l’explique dans Libération Didier Quillot, candidat malheureux, qui dénonce « un concours de beauté, et non de projet ».

Des auditions, des fuites mais pas de débat public

En effet, si chacun des sept pré-nominés s’est soumis à une audition à huis clos d’une durée de deux heures, ce sont davantage les programmes de chaque candidat qui intriguent. Le CSA botte en touche invoquant une décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2000 qui renvoie au respect de la liberté de parole et de la vie privée des candidats. Il n’en a pas fallu davantage pour mettre le feu aux poudres.

Des suspicions de connivence entre le Conseil, les candidats et le pouvoir exécutif ont été rapidement relayées dans les médias. Mise en cause, l’opacité de la procédure qui fait obstacle à un vrai débat démocratique auquel les Français ont droit. Rappelons qu’une partie de la contribution à l’audiovisuel public finance le budget de France Télévisions et que chaque citoyen doit pouvoir se saisir d’un débat qui le concerne au premier chef. « Le public a le droit de savoir comment on nomme le président de France Télévisions », martèle sur Radio Classique Rachid Arhab, ancien membre du CSA. Si l’image du service public audiovisuel sort écornée de cette élection, c’est surtout la loi de 2013 qui failli à son objectif de transparence.

And the winner is…

Parmi les couacs de cette élection, il faut également évoquer la problématique du secret. À l’heure du tout connecté, les résultats du vote ont rapidement fuité sur les réseaux sociaux et dans les médias, mettant à jour les difficultés du collège de l’autorité publique à s’accorder sur un nom. En lice face à Pascal Josèphe, c’est finalement Delphine Ernotte-Cunci qui succède à Rémy Pflimlin après une seconde audition et 24 heures d’ultime délibération.

Celle qui débutera son mandat à le 22 août prochain, prend la tête d’une entreprise sous pression, touchée par une réduction budgétaire programmée par l’État. Pas de quoi effrayer cette centralienne rodée à la gestion des situations de crise. Directrice exécutive d’Orange France, où elle a fait toute sa carrière, Delphine Ernotte-Cunci est « une femme dotée de solides compétences en management » qui « a exercé des fonctions de direction au sein de l’un des plus grands groupes numériques européens », se félicite le CSA. Passée par tous les postes au sein du géant des télécoms (depuis l’analyse financière à la distribution en passant par le R&D et les fonctions de direction depuis 2011, notamment directrice générale d’Orange France), cette discrète quadra cultive un réseau bien fourni et a la réputation d’être une « cost killer ». Des atouts de taille pour celle dont le manque d’expérience dans le secteur des médias est déjà pointé du doigt. Nul doute que la tâche de la première femme nommée à la tête de France Télévisions s’annonce colossale au regard de la feuille de route que lui a assignée le gouvernement (attirer le jeune public, promouvoir la culture, développer le numérique …). Gageons que les résultats à venir permettront de faire oublier l’immense imbroglio qui a accompagné sa désignation.

S. V.

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