Rompu aux courants contraires et à la manœuvre en souplesse, Tony Estanguet est aussi à l’aise dans les stades d’eaux vives qu’au milieu des joutes diplomatiques. Le seul athlète français à avoir gagné trois médailles d’or à trois olympiades différentes dirige avec Bernard Lapasset la candidature de Paris pour l’organisation des Jeux olympiques de 2024. Cet ambassadeur dynamique continue de porter très haut les couleurs de son pays en bâtissant un projet ambitieux et fédérateur.
Décideurs. Après le lancement de la candidature le 23 juin, quelles sont les grandes étapes jusqu’à l’annonce du verdict à l’été 2017 ?

Tony Estanguet. Le 23 juin a été riche en émotions et l’aboutissement de trois années de travail pour le comité français du sport international. La mobilisation des 150 champions présents tout comme les cinq millions de tweets évoquant Paris 2024 symbolisent l’engouement autour de notre candidature. À présent, nous sommes lancés dans un processus qui va monter en puissance jusqu’en septembre 2017. À la manière d’un athlète, il faut accumuler de la confiance avant de faire la différence au bon moment. Tout va se jouer à l’approche de la décision finale, mais il est essentiel d’établir dès maintenant des relations de qualité avec les membres du CIO. Notre travail va s’articuler autour de deux axes : la mise en place d’une démarche partenariale avec les acteurs internationaux puis l’affirmation d’une candidature portant un projet fort, avec le dépôt officiel du dossier en janvier 2017 en point d’orgue.

Décideurs. Quel duo allez-vous former avec Bernard Lapasset à la tête de cette candidature ?

T. E. Notre projet est encore en construction. Les prochaines étapes sont la création d’un comité de candidature et la définition précise de la gouvernance. Avec Bernard Lapasset, nous travaillons ensemble depuis deux ans. Nos profils sont très complémentaires et dévoués aux mêmes objectifs : remporter l’organisation des Jeux 2024, mais également concevoir un véritable projet de société autour du sport. Bernard Lapasset apporte son expérience d’organisateur de la Coupe du monde de rugby et de président d’une fédération internationale. Il a également l’expérience d’une campagne olympique réussie avec l’introduction du rugby à 7 au programme des Jeux. J’apporte de mon côté ma connaissance spécifique de la sphère olympique grâce à mes quatre participations aux Jeux et mon statut de membre du CIO. Nous serons tous les deux mobilisés pour faire gagner la France.

Décideurs. Le plan de financement repose en partie sur l’économie collaborative. Quels sont les objectifs d’une telle démarche ?

T. E. Nous voulons placer l’innovation et le digital au cœur de notre projet. Jamais auparavant une candidature olympique ne s’était appuyée sur un mode de financement participatif. Notre but est de mobiliser l’incroyable tissu associatif et sportif dont la France est pourvue. Tous ces Français pratiquant le sport et ayant envie de voir les jeux Olympiques et Paralympiques chez eux doivent être associés à cette candidature. Cette campagne de financement participatif sera lancée en septembre 2015 avec un enjeu financier réel, mais surtout une recherche du soutien populaire. Il faut que le public le plus large possible, à commencer par un public sportif, s’approprie l’événement.

Décideurs. Quels sont les enjeux économiques et sociaux d’une candidature française aux JO 2024 ?

T. E. Notre candidature s’intègre dans le développement du Grand Paris et profite du plan de transport ambitieux déjà lancé. Pour les infrastructures sportives, les trois quarts existent d’ores et déjà. Deux nouvelles infrastructures majeures doivent survivre aux Jeux : un village olympique de 18 000 lits, équivalent de 4 000 logements sociaux, et un centre aquatique faisant actuellement défaut à cette agglomération. Les investissements publics auront un impact à long terme sur l’aménagement urbain. D’autre part, on l’a vu sur les Jeux de Londres, cet événement fédérateur est aussi la source d’un héritage immatériel important. Au-delà des impacts touristiques et de l’image moderne renvoyée par le pays hôte, certaines thématiques seront primordiales, comme celle de l’accessibilité aux infrastructures pour les personnes handicapées.

Décideurs. Quelles ont été les leçons tirées de la défaite face à Londres en 2005 ?

T. E. Comme un athlète, il faut apprendre de ses échecs pour atteindre le succès. Les membres du CIO sont cette fois-ci en lien direct avec leurs pairs car c’est le mouvement sportif qui mène cette candidature. Il faut également travailler pour ancrer notre projet au-delà de la France. Se rapprocher des grands pays investissant massivement dans le développement du sport international est décisif à ce titre.

Décideurs. Craignez-vous un manque d’adhésion dû à l’addition salée de six milliards d’euros évoquée pour l’organisation de la compétition?

T. E. Il faut d’abord battre en brèche certaines idées reçues. Le budget du comité d’organisation, financé par des fonds privés et le CIO, s’élève à 3,5 milliards d’euros et concerne toutes les questions logistiques de l’événement. Pour compléter cette enveloppe, les dépenses publiques seront limitées grâce aux programmes de modernisation déjà mis en place comme le Grand Paris. La balle est dans notre camp pour présenter la portée de notre projet. D’après un sondage Viavoice, 80% des Franciliens sont très favorables à la candidature. Pour faire progresser ce chiffre, nos partenaires politiques ont aussi un rôle à jouer. Le rôle du sport en matière d’éducation, de santé et de lien fédérateur est encore sous-estimé et la réception des Jeux peut jouer le rôle de déclic. La diffusion de l’esprit olympique repose sur eux.

Décideurs. La Fifa semble engluée dans les affaires de corruption. Comment le CIO se prémunit-il de ce fléau ?

T. E. L’Agenda 2020, voté à l’unanimité par le CIO, est un gage de renouvellement qui place la transparence au cœur des processus décisionnels. Les revenus du président du CIO ainsi que le montant des principaux contrats signés par l’instance sont rendus publics. Le raccourcissement des mandats est un autre symbole fort. Par rapport à d’autres institutions, je ne constate pas de démarches où les dirigeants s’accrochent désespérément à leur poste. Depuis la crise des années 1990, la volonté d’avancer est forte. Il faudra être irréprochable pour se montrer à la hauteur des valeurs olympiques.

Propos recueillis par Thomas Bastin

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