« Nous ne souhaitons pas que la logique de l’article soit l’audience, mais la pertinence. »
Entretien avec Laurent Mauduit, journaliste et cofondateur du site Mediapart.
Décideurs. Si un modèle indépendant et sans publicité peut être rentable – même offline à l’image des mooks –, un 100 % online comme le vôtre est une exception. Comment expliquez-vous la réussite de Mediapart ?
Laurent Mauduit. Nous sommes partis des principes qui fondent l’utilité démocratique de la presse, comme l’indépendance, et avons créé en 2008 Mediapart. Fort de ce logiciel, nous avons décidé de ne faire dépendre notre liberté que de nos lecteurs par un principe payant. Nous ne sommes ni dépendants d’une des deux grandes régies publicitaires, Havas ou Publicis, ni adossés à Google, plate-forme soutenue par la publicité. Bref, nous ne souhaitons pas que la logique de l’article soit l’audience, mais la pertinence. Nos lecteurs paient pour un journalisme de valeur ajoutée. Et notre réussite est une bonne nouvelle pour la presse en générale.
Décideurs. L'affaire Cahuzac vous a-t-elle réellement permis de gagner plus de 10 000 abonnés depuis la démission de l'ancien ministre pour atteindre 75 000 abonnés ?
L. M. Nos recettes se décomposent de la façon suivante : 95 % proviennent des abonnements individuels et 5 % des abonnements collectifs. Durant les deux années de démarrage, ce fut assez linéaire : entre 20 000 et 22 000 abonnés. Pendant l’affaire Bettencourt, nous avons recueilli plus de 300 nouvelles demandes par jour durant un mois et demi, pour parvenir à 35 000 abonnés. Après la campagne présidentielle de 2012 – entre 180 000 et 200 000 visiteurs uniques par jour –, nous avons obtenu fin juin notre record historique avec 69 000 abonnés. Après l’élection, nous sommes retombés à 57 000 ou 58 000 abonnés. L’affaire Cahuzac a tout relancé et mi-avril, nous avons dépassé les 71 000 abonnés individuels, 5 000 abonnés collectifs et 200 000 visiteurs uniques par jour.
Décideurs. L’investigation que vous menez ne s’apparente-t-elle pas à l’initiative judiciaire et policière ?
L. M. Thomas Jefferson, troisième Président américain, a déclaré un jour : « Si j’avais à choisir un jour entre un gouvernement et pas de presse ou pas de gouvernement et une presse, je choisirais la deuxième solution. » La presse est au fondement de la démocratie américaine. Elle y a, comme dans le reste des pays anglo-saxons, un vrai rôle démocratique. Dans un arrêt qui concerne The Guardian, la Cour européenne des droits de l’homme consacre un rôle à la presse, puisqu’elle parle de « watch dog », c'est-à-dire chien de garde. Le rôle des journalistes est d’alerter les citoyens sur des faits d’intérêt public.
Nous partageons cette conception et considérons que notre métier consiste à produire des faits ; mais en France, il existe une tradition de la presse indépendante qui renvoie à l’état quasi malade de notre démocratie, où les contre-pouvoirs sont faibles et où la presse n’a pas reçu de légitimité. Dans l’affaire Cahuzac, nous ne nous sommes pas attardés sur le mensonge et avons simplement produit des faits qui établissent l’existence d’une fraude. Nous continuons à chercher pour savoir si derrière l’homme, il n’y a pas un système. Reste que la justice peut ou non se saisir des faits que nous produisons, nous ne jugeons pas.
Décideurs. Quels rapportes entre les journalistes, la justice et la police : coopération, séparation ou contre pouvoir ?
L. M. La séparation est totale ! Il n’y a aucune interrelation entre la presse et les autres pouvoirs, puisque nous sommes dans des registres différents. Jamais le journalisme de qualité ne se vit comme un système auxiliaire de la police ou de la justice.
Parfois la justice interpelle la presse et c’est à nous d’apporter la preuve de l’information publiée pour qu’elle puisse juger. J’enquête, par exemple, beaucoup sur l’affaire Tapie dans laquelle il y a une présomption de faux en écriture publique et de complicité de détournement de fonds publics et éventuellement de recel, en fonction de ce qui est en cause dans l’histoire. Dans plusieurs papiers, j’écris avoir la preuve – sans révéler ma source – que monsieur Tapie a négocié ses impôts, découlant des indemnités peut-être frauduleuses qu’il a perçues, dans le bureau de monsieur Guéant. C’est grave, car cela signifie qu’il n’est pas un citoyen ordinaire. J’ai reçu une réquisition judiciaire me demandant de fournir la preuve, si tant est qu’elle est existe. Nous en avons discuté entre nous et j’ai accepté de remettre à la justice une bande enregistrée.
Laurent Mauduit. Nous sommes partis des principes qui fondent l’utilité démocratique de la presse, comme l’indépendance, et avons créé en 2008 Mediapart. Fort de ce logiciel, nous avons décidé de ne faire dépendre notre liberté que de nos lecteurs par un principe payant. Nous ne sommes ni dépendants d’une des deux grandes régies publicitaires, Havas ou Publicis, ni adossés à Google, plate-forme soutenue par la publicité. Bref, nous ne souhaitons pas que la logique de l’article soit l’audience, mais la pertinence. Nos lecteurs paient pour un journalisme de valeur ajoutée. Et notre réussite est une bonne nouvelle pour la presse en générale.
Décideurs. L'affaire Cahuzac vous a-t-elle réellement permis de gagner plus de 10 000 abonnés depuis la démission de l'ancien ministre pour atteindre 75 000 abonnés ?
L. M. Nos recettes se décomposent de la façon suivante : 95 % proviennent des abonnements individuels et 5 % des abonnements collectifs. Durant les deux années de démarrage, ce fut assez linéaire : entre 20 000 et 22 000 abonnés. Pendant l’affaire Bettencourt, nous avons recueilli plus de 300 nouvelles demandes par jour durant un mois et demi, pour parvenir à 35 000 abonnés. Après la campagne présidentielle de 2012 – entre 180 000 et 200 000 visiteurs uniques par jour –, nous avons obtenu fin juin notre record historique avec 69 000 abonnés. Après l’élection, nous sommes retombés à 57 000 ou 58 000 abonnés. L’affaire Cahuzac a tout relancé et mi-avril, nous avons dépassé les 71 000 abonnés individuels, 5 000 abonnés collectifs et 200 000 visiteurs uniques par jour.
Décideurs. L’investigation que vous menez ne s’apparente-t-elle pas à l’initiative judiciaire et policière ?
L. M. Thomas Jefferson, troisième Président américain, a déclaré un jour : « Si j’avais à choisir un jour entre un gouvernement et pas de presse ou pas de gouvernement et une presse, je choisirais la deuxième solution. » La presse est au fondement de la démocratie américaine. Elle y a, comme dans le reste des pays anglo-saxons, un vrai rôle démocratique. Dans un arrêt qui concerne The Guardian, la Cour européenne des droits de l’homme consacre un rôle à la presse, puisqu’elle parle de « watch dog », c'est-à-dire chien de garde. Le rôle des journalistes est d’alerter les citoyens sur des faits d’intérêt public.
Nous partageons cette conception et considérons que notre métier consiste à produire des faits ; mais en France, il existe une tradition de la presse indépendante qui renvoie à l’état quasi malade de notre démocratie, où les contre-pouvoirs sont faibles et où la presse n’a pas reçu de légitimité. Dans l’affaire Cahuzac, nous ne nous sommes pas attardés sur le mensonge et avons simplement produit des faits qui établissent l’existence d’une fraude. Nous continuons à chercher pour savoir si derrière l’homme, il n’y a pas un système. Reste que la justice peut ou non se saisir des faits que nous produisons, nous ne jugeons pas.
Décideurs. Quels rapportes entre les journalistes, la justice et la police : coopération, séparation ou contre pouvoir ?
L. M. La séparation est totale ! Il n’y a aucune interrelation entre la presse et les autres pouvoirs, puisque nous sommes dans des registres différents. Jamais le journalisme de qualité ne se vit comme un système auxiliaire de la police ou de la justice.
Parfois la justice interpelle la presse et c’est à nous d’apporter la preuve de l’information publiée pour qu’elle puisse juger. J’enquête, par exemple, beaucoup sur l’affaire Tapie dans laquelle il y a une présomption de faux en écriture publique et de complicité de détournement de fonds publics et éventuellement de recel, en fonction de ce qui est en cause dans l’histoire. Dans plusieurs papiers, j’écris avoir la preuve – sans révéler ma source – que monsieur Tapie a négocié ses impôts, découlant des indemnités peut-être frauduleuses qu’il a perçues, dans le bureau de monsieur Guéant. C’est grave, car cela signifie qu’il n’est pas un citoyen ordinaire. J’ai reçu une réquisition judiciaire me demandant de fournir la preuve, si tant est qu’elle est existe. Nous en avons discuté entre nous et j’ai accepté de remettre à la justice une bande enregistrée.