Livres. les incontournables de la rentrée
Quand Marianne se voile la face
La question de l’islamisme à l’école est un sujet que les gouvernants préfèrent cacher sous le tapis. Et lorsque quelqu’un se met à le secouer, ça fait mal, très mal. Surtout s’il s’agit d’un ancien inspecteur de l’Éducation nationale que l’on ne peut accuser de populisme ou de complicité avec l’extrême droite. Dans son essai, Jean-Pierre Obin divulgue des témoignages récoltés lors de son travail de haut-fonctionnaire au ministère : élèves au patronyme juif progressivement déscolarisés de certains établissements, professeurs plus ou moins contraints d’adapter leurs programmes pour s’adapter à des parents d’élèves ou à des jeunes de plus en plus radicalisés (contes des trois petits cochons interdits, impossibilité de parler des États-Unis sous un angle favorable ou apartheid dans les cantines).
Que des radicalisés cherchent à pousser leurs pions, c’est somme toute logique. Le problème est que, globalement, ils remportent leurs combats sans coup férir. Que ce soit pour ne pas faire de vague, par lassitude, par volonté d’acheter la paix sociale ou par complicité, une partie du corps enseignant et des directeurs d’établissement capitulent et accumulent les "accommodements". Voilà pourquoi 37% des jeunes musulmans font passer la religion avant les lois républicaines ou sont moins "Charlie" que leurs aînés. Pourtant, et c’est là une note d’espoir, lorsque la République se montre inflexible sur ses valeurs, elle vainc. Et la majorité silencieuse la soutient. De quoi faire réfléchir le gouvernement qui prépare pour l'automne un ambitieux projet de loi contre le séparatisme.
Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école, de Jean-Pierre Obin, Hermann, 166 pages, 18 euros
Tous notés
Trajets en covoiturage ou en Uber, repas au restaurant, réception de colis, utilisation d’un service public, bien-être au travail… Désormais, nous sommes habitués à tout noter en quelques clics. Mais nous sommes, nous aussi classés, hiérarchisés et, d’une certaine manière, infantilisés. Si cela part d’une bonne intention, les dérives sont nombreuses. Elles sont pointées avec un style incisif par deux journalistes de Libération qui ont rencontré des concepteurs d’algorithmes dépassés par leur création ou de victimes de notations qui ne correspondent pas à la réalité. Après avoir lu les témoignages de chauffeurs VTC bannis pour avoir proposé à bord des bonbons et non du chocolat, de salariés forcés contraints de mal noter leurs collègues pour garder leur poste ou de restaurateurs en burn-out, une chose est sûre : vous réfléchirez à deux fois aux conséquences d’un acte que vous pensiez anodin.
La nouvelle guerre des étoiles, de Vincent Coquaz et Ismaël Halissat, Kero, 234 pages, 17 euros
L’envers du discours
Si le succès d’une politique se mesure par des actes, les mots ont aussi leur rôle à jouer. Pour preuve, les Français associent bien souvent des "petites phrases" à leurs présidents et leurs premiers ministres. Parfois prononcées à chaud, elles sont le plus souvent pesées au trébuchet. Le journaliste Michaël Moreau a longuement enquêté sur les discours politiques en interrogeant ceux qui les ont prononcés et leurs plumes. Qui rédige vraiment ? Quelles sont les marottes et les habitudes de travail de nos dirigeants ? Pour le savoir, plongez sans hésiter dans ces pages où anecdotes et histoire se côtoient. Plagiats involontaires, tirades improvisées suite à la perte de feuillets dans une tempête, discours demeurés secrets (notamment le projet de retrait de François Fillon)… Cet ouvrage permet de voir la politique sous un nouvel angle plutôt plaisant.
Les plumes du pouvoir, de Michaël Moreau, Plon, 343 pages, 19 euros
De la Lune à la Terre
Pour les amateurs d’uchronie, la collection Jour J est sans doute ce qui se fait de mieux en langue française. Et Lune Rouge est sûrement l’une des plus belles aventures de la maison. Septembre 2020 marque le dénouement d’une trilogie qui se déroule au beau milieu des années quatre-vingt. L’Union des Républiques Socialistes Soviétiques d’Europe domine le Vieux continent depuis 1920 et tire sa prospérité de l’hélium extrait de la Lune. S’y trouvent des goulags dans lesquels travaillent des délinquants, trafiquants et dissidents sous le contrôle de la mafia à qui le gouvernement sous-traite la gestion. Mais la révolte qui gronde depuis deux tomes débute, menée par une jeune journaliste, de vieux trotskistes et un contrebandier meneur malgré lui. Alliances, trahisons, action et références historiques concluent avec panache une série marquée par des dessins au réalisme époustouflant.
Lune Rouge 3, de Fred Duval, Jean Philippe Pécau et Jean-Michel Ponzio, Delcourt, 56 pages, 14,95 euros
Vertiges
Si vous recherchez une traditionnelle BD de montagne, passez votre chemin. Les traits des personnages sont taillés à la serpe ; cimes et parois semblent bien fades. Toutes les pages de gauche sont composées de quelques lignes qui racontent de manière métaphysique l’errance d’un alpiniste anonyme ayant perdu sa compagne en montagne, et qui arpente un massif alpin pour exorciser ses démons. Ces courts textes rachètent tout. Associés aux illustrations, ils font plonger dans un songe fort agréable dont on ressort hébété comme après un évanouissement et l’on comprend la situation du personnage : "La montagne a voulu m’éjecter comme un corps étranger. Que restera-t-il de moi après ces vertiges ? Combien de temps faudra-t-il au glacier pour charrier tous ces corps, les tordre à sa guise et en laisser les lambeaux affleurer sa surface ?". Descension ressemble plutôt à un long poème. Et c’est très bien comme ça.
Descension, de Thomas Luksenberg, Collection Guérin, Éditions Paulsen, 128 pages, 21 euros
Un président a raison de dire ça
Hyperactif par nature, Nicolas Sarkozy a mené à bien les mois de confinement pour écrire le premier tome de ses Mémoires de président, Le Temps de tempêtes, qui retrace ses deux premières années à l’Élysée. Saluons ici la générosité de l’auteur qui a pensé à tout le monde. Les adeptes de confessions privées y trouveront leur compte, tout comme ceux qui s’intéressent aux coulisses, au profil des grands de ce monde (Vladimir Poutine, Nelson Mandela, la Reine Elisabeth...), ou encore au regard porté a posteriori sur sa communication, son exercice du pouvoir ou encore sa gestion de la crise de 2008. Cet ouvrage, écrit de manière simple et directe (visiblement sans ghost writer), a tout pour faire exploser les ventes. Certains lecteurs potentiels tels que Christophe Barbier, Laurent Joffrin, Jean-Louis Debré, François Bayrou ou François Hollande doivent avoir les oreilles qui sifflent. À l’inverse d’Emmanuel Macron, plutôt épargné.
Le temps des Tempêtes, de Nicolas Sarkozy, Éditions de l’Observatoire, 522 pages, 23 euros
Lucas Jakubowicz