Rencontre avec Stéphane Bern, l'esprit libre
Arpentant les rues pavées d’un village médiéval, micro à la main et sourire aux lèvres, ou militant pour la restauration d’un château alsacien du XVᵉ siècle, lançant un appel au don pour Notre-Dame de Paris ou commentant le dernier mariage princier, il est partout ; aussi à l’aise parmi les vieilles pierres qu’auprès des têtes couronnées. Érudit et décontracté ; incontournable dès lors qu’il s’agit de monuments anciens à sauvegarder ou d’événements royaux à décrypter. En quelques années, Stéphane Bern s’est imposé auprès du public français comme la référence en matière d’Histoire et de patrimoine. Conformément au poste de chargé de mission que lui confiait, il y a deux ans, le président de la République, certes, mais aussi et surtout, à une passion qu’il ne s’explique pas. Hormis, peut-être, par une enfance « passée dans les musées », par des grands-parents luxembourgeois à l’origine de son attachement à la famille grand-ducale et de son goût pour la royauté et, surtout, par une idée fixe contractée alors qu’il n’a pas dix ans : « Savoir d’où viennent les trains et où ils vont ». Autrement dit : identifier une trajectoire et lui donner un sens.
Identité collective
Une obsession qui ne le quittera pas, le conduisant à adhérer à quinze ans à sa première association de défense du patrimoine, à dix-sept à se faire embaucher comme hôte d’accueil au Château de Versailles et à vingt, une fois la case « EM-Lyon » cochée « pour rassurer les parents », à devenir journaliste avant de se spécialiser dans ses univers de prédilection. « J’ai toujours eu la passion de l’Histoire et du patrimoine parce que j’ai toujours eu besoin de comprendre, résume Stéphane Bern ; de trouver du sens dans ce qui nous lie. » Un passé commun, des origines partagées et des monuments anciens dans lesquels il perçoit, plus que des vestiges architecturaux à restaurer, de véritables « pans d’identité collective » à préserver. Quelque chose de vivant et de nécessaire.
"Le tourisme patrimonial, c'est 60 milliards d'euros annuels. C'est une industrie qui rapporte et qu'on ne peut délocaliser"
« Ce que je vois dans les vieilles pierres, ce sont les gens ; le lien visible qui les unit, explique-t-il. Voilà pourquoi leur sauvegarde doit devenir une cause nationale prioritaire : parce que le patrimoine, c’est de l’identité ». Non pas « hystérisée » et fragmentée telle qu’on nous la décrit à longueur d’analyses sociologiques mais pacifiée. « L’afflux de dons suscité par l’incendie Notre-Dame l’a prouvé, poursuit Stéphane Bern : le patrimoine, c’est ce qui réconcilie. » Et pour celui qui ne supporte pas plus le communautarisme, « qu’il soit religieux, politique, social ou sexuel… », que les « faux procès », ceux qui veulent à tout prix opposer Français des villes et des campagnes, « partisans de la monarchie et républicains… », c’est essentiel. « En France, on vous renvoie toujours à vos racines, à ce que vous êtes supposé être, poursuit-il. Pour ma part, je refuse d’être enfermé dans une case ; et je ne cherche pas à plaire. »
Révolutionnaire
Un luxe qui, loin des fidélités de classe et des adhésions partisanes, lui permet de revendiquer une liberté totale et des engagements sincères. Parmi lesquels, le droit d’être monarchiste et démocrate et celui de donner pour Notre-Dame et aux Restos du cœur…
« Je ne vois pas pourquoi il devrait y avoir conflit entre les deux ! », poursuit celui qui, depuis toujours, cultive un penchant pour la transgression comme d’autres entretiennent un accent d’origine. « Enfant j’étais très insolent, reconnaît-il. Rebelle par nature. » Réfractaire aux codes, aux règles et à tout ce qui se décrète sans pouvoir s’expliquer. « Ça ne se voit pas mais je suis très révolutionnaire, je remets tout en cause, tout le temps ! » Ne pas se fier, donc, à son allure d’aristocrate bien né. « Révolutionnaire, on peut l’être en col blanc, estime-t-il. De mon côté je ne cherche pas à être dans une posture. Je suis moi-même : quelqu’un qui se situe hors des jeux de pouvoir et ne roule pour personne. » Aussi populaire auprès des Français que poil à gratter au sein du gouvernement qu’il aiguillonne sans relâche. Sur les taxes qu’il voudrait voir abolir pour le loto du patrimoine, « comme c’est le cas en Angleterre », sur la restauration de Notre-Dame de Paris qui doit se faire « à l’identique », traduction : sans carte blanche accordée à des architectes inspirés, mais aussi sur les lois d’exception censées accélérer le processus et dans lesquelles il voit « le risque de créer un précédent » et, bien sûr, sur le patrimoine des territoires ruraux.
Réconciliation nationale
Celui pour lequel, s’insurge-t-il, on peine à débloquer des fonds alors que deux milliards « suffiraient » à sauver les 44 000 bâtiments recensés. « On les trouve pour d’autres causes, pourquoi pas pour le patrimoine ? ce serait tellement simple de le sauver ! » Et, il en est convaincu, tellement utile… « Un moulin qui tombe en ruines et les gens ont l’impression que l’État les abandonne », résume celui qui dit comprendre la colère des gilets jaunes : « Moi aussi je le ressens, ce mépris de Paris pour les territoires, cet abandon de la ruralité… ». D’où sa conviction : financer la sauvegarde du patrimoine rural enverrait un signal fort, particulièrement utile par les temps qui courent. « Ce serait un vecteur de réconciliation entre Paris et les territoires, cela créerait du lien visible entre le monde des grandes villes et celui des campagnes. » Un argument de poids vient s’ajouter celui, concret et mesurable, de l’impact économique. « Le tourisme patrimonial c’est 60 milliards d’euros annuels, rappelle Stéphane Bern. C’est une industrie qui rapporte et qu’on ne peut pas délocaliser ! » C’est enfin ce qui peut sauver des territoires délaissés. « Un château, une église, une grotte… Ça fait vivre un village ! ça restaure une dynamique, ça crée des emplois... » Ça donne une assise et des perspectives. Ça dessine une trajectoire, en somme.
Caroline Castets