Structure indépendante créée en 2023, Real Value a pour mission de rétablir l’équilibre entre bailleur et locataire. David Tordjman, son fondateur, revient sur la genèse de ce projet, nous détaille ses convictions et ambitions et décrypte le contexte immobilier actuel.
David Tordjman (Real Value) : "Parfois les promoteurs et investisseurs devraient laisser leur matrice Excel de côté"
Décideurs. Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?
J’ai démarré ma vie professionnelle en 2006 dans le conseil en immobilier d’entreprise, métier que je n’ai jamais vraiment quitté depuis. J’ai passé la quasi-totalité de mon parcours chez différents brokers tels que Keops, Arthur Loyd, Evolis, Consult’Im ou le Groupe Babylone. Je n’ai jamais vraiment voulu intégrer de grands groupes internationaux. Il est difficile de s’exprimer pleinement, de s’épanouir professionnellement lorsque l’on vous affecte un secteur géographique et un créneau de surfaces. Dès que vous ne rentrez pas dans le moule, il devient compliqué d’évoluer, de progresser, d’apprendre. Ces structures produisent des brokers un peu formatés qui ont du mal à penser hors QCA. Faire profession de servir les intérêts de ses clients requiert une compréhension du marché plus vaste que les périmètres qu’accordent ce genre de structures.
Un conseil en immobilier doit être capable de s’adapter aux besoins du client, qui attendent de lui du sur-mesure. À mon sens, ce conseil global, sans restriction, se délivre chez les acteurs intermédiaires, qui appréhendent mieux les enjeux et problématiques des clients, sans zone prédéterminée. Le cahier des charges du client et le besoin formulé en début de recherche ne sont pas figés. Les cabinets intermédiaires et indépendants encouragent ces réflexions vastes, créent des ponts entre l’offre et la demande et ne se contentent pas d’ouvrir des portes. Bien que j’aie aimé évoluer au sein de ces cabinets, le jour où mes ambitions se sont retrouvées bridées a fini par arriver, et où j’ai eu à cœur de montrer de quoi j’étais capable. C’est la raison pour laquelle j’avais quitté Keops pour Arthur Loyd puis Arthur Loyd pour Evolis, et ainsi de suite…
Jusqu’à la création de Real Value ?
Cela faisait quelques années que mûrissait chez moi cette idée d’indépendance. Depuis quasiment dix ans en réalité, et à chaque fois que j’ai songé à me lancer, j’ai été rattrapé par les propositions qui m’ont été faites. Quand vous évoluez dans le monde de l’entreprise et que vous prenez des responsabilités, les rémunérations progressent, jusqu’à vous emprisonner, d’une certaine manière. Se lancer dans l’entrepreneuriat, c’est prendre le risque d’échouer, mais aussi de réussir. Je nourrissais ces réflexions depuis longtemps mais dès que j’envisageais de poser ma démission, une proposition m’arrivait et repoussait ce désir. Il est possible de perdre un peu ses convictions en arrivant à de hautes responsabilités. Après quelques déceptions, le projet entrepreneurial prend de l’importance. Par le passé, j’ai souvent relevé une certaine déconnexion des enjeux des clients.
C’est cette déconnexion qui est à l’origine de votre structure ?
Au sein des cabinets de conseil en immobilier d’entreprise, les départements « utilisateurs » sont souvent pris entre le marteau et l’enclume : ce sont les mandants qui nourrissent le département « transaction ». Le fait que les grands mandants leur offrent un volume d’affaires conséquent les empêche de défendre convenablement les intérêts des utilisateurs. Cela crée une problématique qui n’est pas correctement traitée aujourd’hui. Par ailleurs, le tissu économique français n’est pas constitué que de sociétés du CAC 40 mais également de PME ou d’ETI. Tout un pan de structures en quête de conseil et de services sur des questions qui ne sont pas limitées à la recherche de locaux. Nos missions débutent par l’analyse d’une situation, le décryptage d’un bail généralement, et nous y débusquons parfois des clauses dépassées, des postes de dépenses superflues...
"L’immobilier a toujours occupé une place centrale dans la vie d’une entreprise"
En tant que deuxième poste de dépenses d’une société, derrière les salaires, l’immobilier a toujours occupé une place centrale dans la vie d’une entreprise. Ces dernières années, son importance et son étude se sont renforcées avec notamment la question du télétravail, de la gestion des talents, de l’inflation ou de la hausse du coût de l’énergie. Le poste immobilier est donc revenu au centre de l’attention. En réalité, nous accompagnons les entreprises dans la préservation de leurs marges et de leur pouvoir d’achat. Nous ne sommes pas là pour leur prendre de l’argent mais leur en faire économiser. Nos services sont en phase avec les problématiques actuelles. Tous ces éléments ont conduit à la création de ma structure, destinée à offrir un service premium aux utilisateurs, à les accompagner différemment dans leurs réflexions immobilières.
Cette dimension du conseil s’est-elle enrichie de l’aspect environnemental ?
Le développement durable est devenu une composante incontournable du conseil en immobilier d’entreprise. Une PME traditionnelle qui compte entre 20 et 250 salariés, mais ne dispose pas d’une direction immobilière ou d’une direction juridique, peut rencontrer quelques difficultés à appréhender les nouvelles ou futures réglementations. Quand leur conseil parle de décret tertiaire, c’est parfois du charabia pour les structures de ce genre. Il faut se mettre à leur place lorsqu’elles reçoivent un avenant à leur bail, qui intègre des annexes environnementales. Quels sont leurs engagements, quelles sont leurs obligations ? Leur réflexe consiste à se dire qu’elles ne sont pas là pour signer un chèque en blanc afin que leur propriétaire rénove son parc immobilier. Un conseil traditionnel sera à leur écoute en vue d’un déménagement ou de la recherche de nouveaux locaux, mais pas forcément pour les autres problématiques inhérentes à la vie du bail. Nous sommes aux premiers stades de cette problématique qui va entrer en application en 2030 pour sa première phase. Le patrimoine francilien étant composé majoritairement d’immeubles anciens, ces enjeux sont voués à prendre de l’importance.
Quelles sont vos ambitions ?
Nous allons continuer de nous structurer avec des recrutements, de manière à étoffer les effectifs et répondre à nos clients avec les mêmes envies et les mêmes convictions. Quand vous créez une entreprise, personne ne vous attend et personne n’a besoin de vous. J’ai parfois entendu que la période n’était pas la plus propice pour créer une entreprise, mais je sens depuis quelques années une évolution du besoin des clients qui ne trouvait pas forcément sa réponse chez les grandes sociétés de conseil. Les entreprises ne raisonnent plus de la même manière, elles attendent et méritent un service de qualité mais acceptent de donner leur confiance à de plus petites structures, plus agiles, plus proches d’elles.
Celui qui paye le loyer c’est le locataire, et celui qui permet à l’intermédiaire de conclure une transaction c’est le locataire. On a aujourd’hui tendance à dérouler le tapis rouge au propriétaire mais c’est le locataire qui nous fait vivre et il mérite toute notre attention. Le conseil « utilisateur » est celui qui est capable d’écouter, de comprendre les marchés. L’immobilier réside dans la pierre mais aussi dans le juridique, les ressources humaines, l’économie, les enjeux sociétaux… Toutes ces questions méritent un traitement particulier, et c’est là que nous entrons en scène.
Que pouvez-vous nous dire du contexte immobilier actuel ?
Indéniablement, le bureau est la classe d’actifs qui a le plus souffert, mais il y a encore quatre ans, les spécialistes prévoyaient la mort du commerce. Ce qui me frappe c’est de voir se construire de nouveaux immeubles de bureau, notamment en Île-de-France, premier parc immobilier d’entreprise en Europe. Le parc tertiaire de la région connaît une vacance locative démentielle : plus de 13 % des bureaux sont inoccupés. Les promoteurs font construire des bureaux sans savoir s’ils répondent à un besoin, preuve en sont les nombreux actifs neufs et toujours vides plus de deux après leur livraison sur la première couronne Nord. Parfois, les promoteurs et investisseurs devraient laisser leur matrice Excel de côté.
Propos recueillis par Alban Castres