Marie Cheval (Carmila) : "Nos centres commerciaux sont des créateurs de liens sociaux"
Décideurs. Quelle est l’empreinte de Carmila en France et en Europe ?
Marie Cheval. Nous possédons au total 214 centres commerciaux, 128 en France, 78 en Espagne et 8 en Italie ce qui représente 2 millions de clients par jour. Ces centres présentent deux caractéristiques principales : ils sont situés dans des villes moyennes et intègrent un hypermarché Carrefour. Pour poursuivre sur les chiffres, nos centres font en moyenne la taille de deux terrains de foot et accueillent 45 boutiques,ce qui représente au total 6000 baux et donc 6000 commerçants, dont 40 % d’indépendants ou franchisés. Un Français sur trois se trouve à moins de 20 minutes de l’un de nos centres commerciaux. Nous sommes donc dans leur quotidien. Nous ambitionnons une croissance annuelle moyenne de 10 % de notre résultat récurrent par action en 2022 et 2023 et souhaitons proposer un dividende annuel d’au moins un euro par action entre 2022 et 2026, deux engagements qui incarnent notre confiance dans ce modèle.
La crise sanitaire a-t-elle modifié votre stratégie de développement ?
Nous avons annoncé début décembre un nouveau plan stratégique, "Building Sustainable Grow" très ancré à la fois sur la croissance et sur le développement durable. Les crises constituent des accélérateurs de changement et nous avons commencé à muter pendant celle-ci. La crise nous a amenés à intégrer dans nos orientations les nouveaux enjeux de consommation comme le pouvoir d’achat, la santé, l’environnement et l’omnicanalité.
Pourriez-vous détailler ce plan stratégique ?
Il repose sur trois piliers : un nouveau rôle pour Carmila comme incubateur et plateforme omnicanale pour nos commerçants, une position de leader en matière de développement durable, la préoccupation environnementale étant au cœur des préoccupations de toutes nos parties prenantes, et l’investissement dans de nouvelles lignes métiers, notamment avec le lancement de Next Tower, une Tower Company qui construit des tours 5G partagées permettant de contribuer à réduire la fracture numérique et participant ainsi à la transformation durable des régions. Carmila Retail Development constituera également une nouvelle ligne métier avec sa participation dans de nouveaux concepts retail sous forme d'investissement capital-risque.
"Un Français sur trois se trouve à moins de 20 minutes de l’un de nos centres commerciaux"
Le projet “Next Tower” semble être assez inhabituel pour une foncière telle que Carmila. Comment l’idée s’est-elle matérialisée ?
La 5G nécessite plus d’antennes que la 4G. Dans la mesure où nous maîtrisons une empreinte foncière, nous allons pouvoir construire ces antennes et les louer à des opérateurs téléphoniques. C’est une nouvelle activité complémentaire de la nôtre mais sur des actifs digitaux et technologiques.
Le e-commerce a vu son utilisation progresser notamment du fait des confinements. Comment accompagnez-vous cette tendance ?
Je pense que la crise sanitaire a accéléré la tendance à l’omnicanal. Aujourd’hui le client veut tout, aller en magasin et se faire livrer. Nous avons assisté au développement de plusieurs tendances : le drive, le e-commerce, le clic&collect. Il nous faut accompagner nos clients et nos commerçants et faire de nos centres des centres omnicanaux. Cela passe par des services pour nos clients, les points de retrait, le drive, pour nos commerçants, par l’intermédiaire des réseaux sociaux notamment. Nous sommes, par ailleurs, très attentifs aux nouvelles marques digitales, notamment les Digital Native Vertical Brands (DNVB) et c’est notre rôle d’incubateur de les faire venir dans nos centres commerciaux. En les interrogeant, nous nous sommes rendu compte qu’elles souhaitent mettre un pied dans le commerce physique qui renforce l’engagement de leurs clients et leur permet de toucher de nouveaux publics au sein des territoires sur lesquels elles sont peu présentes. Nous avons donc lancé le prix DNVB Ready by Carmila afin de leur faire gagner des espaces dans nos centres commerciaux. En outre, notre concept Marquette nous permet d’abriter une quinzaine de DNVB dans un même espace, leur profondeur de produits étant parfois insuffisante pour justifier d’une boutique individuelle.
À ce sujet, le succès des plateformes de commerce en ligne ne révèle-t-il pas un paradoxe entre la préoccupation environnementale des consommateurs et leur comportement ?
La préoccupation environnementale amène beaucoup de clients à s’interroger. À titre d’exemple, nous avons assisté à la prise en considération du local : les circuits courts, les produits locaux, l’emballage et la provenance semblent revêtir plus d’importance chez les consommateurs, ce qui risque de faire évoluer leur comportement. S’il existe un paradoxe aujourd’hui, il devrait s’éteindre au fil du temps.
Quelle place occupe la notion de mixité urbaine dans votre stratégie ?
Nos centres commerciaux ont en moyenne 40 ans et ont été construits en périphérie des villes autour d’un parking et d’un hypermarché. Nous constatons que les villes ont évolué et certaines se sont étalées jusqu’aux centres commerciaux. Nous étudions des projets de transformation complète de nos actifs afin qu’ils s’insèrent dans un nouveau quartier. Notre projet le plus avancé se situe à Nantes Beaujoire et consistera en une offre mixte incluant du résidentiel, du coworking et des commerces. Il existe une dizaine de projets de ce type qui illustrent notre rôle dans l’évolution de la ville et dans la préoccupation d’offrir des espaces encore plus adaptés à la transition écologique. Ces projets de mixité urbaine redéfiniront totalement la place du centre commercial dans la vie ainsi que l'objectif d'atteindre zéro émission nette de carbone d'ici 2030 grâce à une diminution de sa consommation d'énergie.
"Je pense que la crise sanitaire a accéléré la tendance à l’omnicanal"
Quelle est votre vision du centre commercial du futur ?
Il lui faudra être toujours plus en adéquation avec les besoins des clients. À horizon 2026, nous nous sommes engagés à proposer 15 % de surface de nos centres commerciaux dédiés à la santé. Nous en proposons déjà que ce soient des pharmacies, des opticiens, des cabinets dentaires, et travaillons sur des cliniques vétérinaires, des cliniques de e-santé. Nous voulons également faire de nos centres commerciaux des centres de loisirs, des endroits où il se passe quelque chose. Certains de nos centres ont vocation à être des extensions de centres-villes avec, par exemple, des agences d’interim.
Il a beaucoup été question d’exode rural. Quel rôle ont les centres commerciaux dans le dynamisme des villes moyennes ?
Nous développons et animons des centres de proximité à taille humaine, pratiques et conviviaux qui créent du lien et dynamisent les territoires. Nos centres commerciaux sont des créateurs de liens sociaux, ils ont donc une grande importance dans la vie d’un territoire au niveau économique ou social. L’on s’y rend pour acheter, se promener, retrouver ses amis. Nous avons beaucoup interrogé la génération Z qui a la réputation d’être hyper-connectée, il n’en demeure pas moins qu’elle adore les centres commerciaux.
La crise sanitaire joue les prolongations, quels sont vos vœux pour cette nouvelle année ?
À la différence de l’année dernière, nous avons la chance d’avoir un vaccin, donc un espoir. Les centres commerciaux sont des lieux où les masques sont obligatoires et nous nous sommes beaucoup investis dans le maintien des gestes barrières. Je préfère donc rester optimiste pour cette nouvelle année.
Propos recueillis par Alban Castres