En pleine refonte, l’immobilier d’enseignement représente une classe d’actifs sur un marché prometteur. Depuis 2019, le volume moyen a été multiplié par deux chaque année, jusqu’à atteindre les 100 000 mètres carrés de transactions en 2021. Cependant, ces chiffres ne reflètent que la partie émergée de l’iceberg.

Décryptage : l’offre ne parvient pas toujours à rencontrer la demande, compte tenu du fossé entre celle placée et celle exprimée. De fait, des investisseurs spécialisés repensent leurs stratégies afin de pleinement exploiter le potentiel de ces nouveaux preneurs à bail. L’aboutissement du cursus scolaire a tiré sa révérence au profit de la valorisation d’une pluralité d’offres de formation. Alors que la génération X, marquée par les chocs pétroliers, préconisait la stabilité de l’ "emploi fonction", les générations actuelles privilégient davantage l’ "emploi passion" ou encore l’ "emploi mission". L’appétence et l’utilité de la matière régissent le choix des études. Ainsi, aux côtés de l’éducation publique, l’offre du secteur privé s’est étoffée. Or, ces sanctuaires de savoirs souhaitent occuper des locaux à hauteur de la qualité de leur enseignement.

Boom de la demande des écoles supérieures

D'après une étude de CBRE"l'analyse des transactions utilisateurs fait apparaître un volume de transactions croissant, majoritairement porté par la dynamique des écoles de management privées". Une pluralité de facteurs accroît la création et le développement de ces nouveaux parcours post-bac. D’une part, l’enseignement supérieur a pour mission de passer le flambeau du savoir aux citoyens et travailleurs de demain. La pullulation des formations répond à un véritable besoin des entreprises. Ces dernières recherchent de jeunes talents tout en maintenant la consistance des collaborateurs en poste. Ainsi, le recrutement de ces profils, la refonte de certains secteurs d’activités et l’émergence de métiers supposent une formation initiale et continue. Cette instruction se matérialise par la nécessité de locaux adaptés. Bien que le début de la pandémie de la Covid-19 ait mis en exergue les bienfaits du distanciel, il apparaît davantage comme un complément plutôt qu’un substitut au présentiel. D’autre part, la recrudescence de ces écoles s’explique par l’accroissement des inscrits. Leurs importants flux et volume sont la résultante d’une quête d’attractivité de l’Hexagone, sixième pays d’accueil d’étudiants étrangers. En outre, la progression de la natalité et les bébés qui en résulte, occuperont les bancs de ces établissements d’ici les quinze prochaines années. Ces paramètres ouvrent le champ des possibles sur le marché de l’enseignement supérieur. La demande s’étoffe mais quid du formalisme et des critères auxquels elle est assujettie.

"L'analyse des transactions utilisateurs fait apparaître un volume de transactions croissant, majoritairement porté par la dynamique des écoles de management privées"

L’immobilier de l’enseignement supérieur, un actif utopiste ?

Les structures de l'enseignement supérieur répondent à une réglementation particulièrement bornée. D’une part, le Code de la construction et de l’habitation les répertorie dans la catégorie des établissements recevant du public (ERP). Véritable garantie de la sécurité des biens et des personnes, cette classification complexifie cependant la procédure (trois à six mois d’instruction, un à trois mois de constitution du dossier) et multiplie les dispositifs (accès adapté aux personnes à mobilité réduite, système d’alarme incendie, etc.). En outre, la préférence pour les ERP de catégories 1 et 2 creuse la sédimentation du marché de niche et raréfie l’offre qualifiée. D’autre part, le Code de l’urbanisme, réglementation en matière d’affectation des sols, les classifie au sein des équipements d’intérêt collectif et services publics (EISCP). Cette nomenclature réduit le volume de locaux pouvant recevoir de telles activités et dissuade les investisseurs. Ces derniers craignent d’être cloisonnés par le Plan local d’urbanisme (PLU) en cas de changement de destination de leur immeuble.

Parallèlement aux contraintes légales, les écoles privées s’astreignent à d’autres prérogatives pour rester bancable sur un marché concurrentiel. Au-delà de la qualité du corps professoral et des performances purement scolaires, écoles de commerce et d’ingénieur doivent délivrer une "expérience étudiant" à l’image de l’expérience client dans le commerce. Ainsi, leurs vitrines doivent répondre d’un certain standing. La localisation en constitue une part importante. Bon nombre d’écoles franciliennes conservent un tropisme en optant pour la capitale. Paris assouvit le fantasme des étudiants étrangers et bénéficie des aménités urbaines. In fine, ce cahier des charges débordant limite les transactions en court-circuitant la rencontre entre la demande et l’offre.

 

 Écoles de commerce et d’ingénieur doivent délivrer une "expérience étudiant" à l’image de l’expérience client dans le commerce

Offre des investisseurs, pari exigeant mais prometteur

Malgré ses contraintes, ce secteur attire les investisseurs venus de tous horizons. Aux côtés des spécialistes du domaine, des bailleurs généralistes se laissent séduire par ces actifs aux multiples atouts. Tout d’abord, le profil de ces écoles coche les cases de la gestion en "bon père de famille". Dans un premier temps, la solidité des provisions est incontestable. Leur activité suppose des entrées régulières de trésorerie triennale ou quinquennale selon le cursus des étudiants. Dans un second temps, la hype du privé quantifie et qualifie les frais d’inscription. En outre, le montage financier, en matière de visibilité des flux et de capacité de financement propre, bonifie l’enveloppe budgétaire allouée à l’immobilier. La pertinence du loyer étant calculée par un taux d’effort au dénominateur confortable, soit leur chiffre d’affaires. De plus, d’un point de vue macroéconomique, le caractère contracyclique du domaine d’enseignement et la diminution du risque en cas de crise augmentent l’attrait de ces candidats.

Par ailleurs, la nature intrinsèque de l’activité suppose une occupation pérenne des locaux. Les écoles souhaitent s’inscrire dans un paysage durable et contractent aisément des baux de douze ans ferme (33% de signatures dans l’immobilier d’enseignement contre 21% dans l’immobilier de bureau dans sa globalité). Dès lors, la garantie du cash-flow ne pourrait être contrariée que par l’incapacité d’accueil des locaux existants pour les nouvelles recrues. Or, l’alternative du bailleur consisterait à étendre son offre d’actifs aux alentours de ses immeubles placés. Tout l’intérêt réside dans l’anticipation de cette demande composée de candidats à l’affût dès la phase de pré-commercialisation. Un certain degré de marketing relationnel permettrait de fidéliser des utilisateurs enclins à enchaîner leurs opérations d’implantation et opter pour une stratégie multisite.

Du reste, quid de l’impératif de l’"homologation" ERP qui affaiblit la densité des transactions ? Cet obstacle cache l’opportunité d’investir dans des bureaux désuets en vue de les mettre aux normes. En effet, la suroffre de bureaux obsolètes revalorisée en ERP permet de dégager une rentabilité brute intéressante quant aux loyers perçus rapportés au prix d’acquisition.
De ce fait, une offre optimisée pourrait conduire à un meilleur taux de transformation. Une fois les balises du marché de l’enseignement supérieur ôtées, le sentier peut mener vers une ascension emplie de belles promesses.

Maureen Nugent