Les projets de reprises de David Layani, Daniel Kretinsky ou Airbus ayant échoué, ce sont désormais les créanciers d’Atos qui sont en charge de la restructuration financière des 5 milliards d’euros de dette du groupe. Ancien fleuron français des services digitaux, l’entreprise vit depuis plus de deux ans une interminable descente aux enfers. Retour sur les étapes clés de cette chute en avant.

Septembre 2021. Atos sort du CAC 40. Après avoir perdu 40% de sa valorisation depuis janvier 2021, le groupe est relégué dans le Next 20, antichambre d’Euronext au profit d’Eurofins Scientific. De mauvais choix stratégiques et le rachat avorté du concurrent américain DXC Technology sont en cause. Le début d’une interminable dégringolade.

Janvier 2022. Résultats toujours en berne. Après une année déjà difficile, Atos annonce des résultats en deçà de ceux déjà révisés en juillet 2021. Les revenus du groupe sont en baisse de 2,4% à taux de change constant. Le chiffre d’affaires se situe à 10,8 milliards d’euros, soit un milliard de moins qu’en 2020. Le taux de marge opérationnelle atteint 4%, loin des 6% espérés et la trésorerie affiche une perte de 420 millions d’euros sur l’année. L’horizon s’assombrit. 

Juin 2022. Nouveau plan stratégique et décrochage en Bourse. Pour se relancer, Bertrand Meunier, alors président du conseil d’administration, annonce un projet de scission du groupe en deux entités. D'un côté, Eviden qui concentre les activités porteuses d’Atos comme la cybersécurité, les supercalculateurs et le big data. De l’autre, Tech Foundations qui regroupe ses activités historiques d’infogérance. Le groupe perd alors, 23% de sa valeur en Bourse. Les marchés n’achètent pas ce plan qui apparaît comme une augmentation de capital dissimulée derrière une restructuration. Le jour même, son CEO Rodolph Belmer jette l’éponge et démissionne, seulement six mois après son arrivée. Piètre symbole pour ce qui devait amorcer une nouvelle ère.

Février 2023. Airbus entre dans la course. Après avoir perdu 76% de sa valorisation boursière en un an, le groupe Atos confirme avoir reçu une offre indicative d’Airbus pour entrer au capital de son entité Eviden à hauteur de 29,9%. Alors que la structure spécialisée dans les services informatiques est en manque de cash, cette opération priverait Atos du contrôle total d’un de ses derniers poumons en croissance mais lui permet de grapiller 8% en Bourse.

Mars 2023. Faute d’accord avec ses investisseurs, Airbus se retire. Après des désaccords internes entre Guillaume Faury, CEO d’Airbus, et l’un de ses principaux actionnaires, le fonds TCI, sur le prix de rachat, l’opération capote. Le financier ne voyait dans Atos qu’une coquille vide en perdition et une intervention politique de plus pour sauver un acteur tricolore au détriment de l’intérêt d’acteurs privés. Le groupe plonge de 17% à Euronext.

Août 2023. Daniel Kretinsky entre à son tour dans la danse. L’homme d’affaires tchèque ouvre des négociations exclusives avec le groupe Atos afin d’acquérir pour une somme symbolique ses activités historiques d’infogérance à horizon 2024. En parallèle, Kretinsky prévoit d’augmenter le capital d’Eviden, la poule aux Å“ufs d’or du groupe, en acquérant 7,5% de son capital.

Octobre 2023. Les sirènes de la nationalisation font plonger Atos. Le groupe informatique s’enfonce et perd 13% en Bourse quand des groupes parlementaires de droite comme de gauche proposent de nationaliser la structure. La raison ? Protéger de la proposition de rachat de Daniel Kretinsky les activités sensibles du groupe, indispensables à l’armée française. Ces propositions ne seront jamais débattues au Parlement, le gouvernement ayant déclenché pour la 13e fois l’article 49.3 pour promulguer la loi de Finances 2024. Mais l’image du groupe est définitivement écornée.

Janvier 2024. Les négociations s’enlisent, toujours pas de rachat en perspective par Kretinsky. Dans un communiqué, Atos annonce que les négociations avec le milliardaire tchèque se poursuivent mais sans garantie de parvenir à un accord. Prix à payer, structure de l’opération, transferts des actifs, le flou est total et les points de blocage nombreux. Le communiqué de l’ancienne gloire de la tech révèle aussi le retour d’Airbus dans la course pour le rachat de son département cybersécurité, une de ses dernières pépites. Bouée de sauvetage ?

Février 2024. Atos demande la désignation d’un mandataire ad hoc pour restructurer sa dette, et voit son cours de Bourse s’écrouler. Le groupe informatique se résout à nommer un mandataire judiciaire pour négocier avec ses 22 créanciers qui détiennent la moitié des 4,8 milliards de dette de l’entreprise. La réaction des marchés ne se fait pas attendre, le cours plonge de 30%. En 5 ans, il a perdu 95% de sa valeur. De Charybde en Scylla ?

Avril 2024. L’ex-fleuron informatique se dit satisfait de l’offre de l’État portant sur certaines de ses activités souveraines. "Il y a des activités souveraines qui doivent rester sous contrôle exclusivement français", annonçait quelques jours auparavant le ministre de l’économie, Bruno Le Maire. Les supercalculateurs nécessaires à la dissuasion nucléaire ainsi que les systèmes critiques utilisés par certains programmes de défense et de renseignement sont visés. Le découpage des branches d'activités commence.

Mai 2024. Worldgrid, filiale du groupe en charge des systèmes de pilotage des centrales nucléaires, sur le point d’être cédée. Cette dernière fournit notamment les logiciels de commande et de supervision des réacteurs nucléaires pour EDF en France, au Royaume-Uni, en Chine et en Russie, soit environ 15 % du parc mondial. Dassault Systèmes, Assystem ou Scalian sont évoqués comme potentiels repreneurs. Le cours de l'action chute de 20% en bourse. 

10 Juin 2024. La musique s’accélère. David Layani, fondateur de Onepoint, écarte Daniel Kretinsky de la course à la reprise. Alors que les négociations s’enlisaient avec l’investisseur tchèque depuis le début d’année, c’est le président du cabinet de conseil Onepoint, premier actionnaire d’Atos et allié des créanciers, qui entre en négociation exclusive avec le directoire en vue du rachat de la structure. Mieux armé financièrement, sa proposition de préserver l’intégralité du groupe en évitant tout découpage a séduit le conseil d’administration. La lumière au bout du tunnel ? 

28 juin. David Layani finit par démissionner du conseil d’administration, le cours en bourse dévisse à nouveau de 14 %. Le fondateur de Onepoint a informé Atos de sa démission avec effet immédiat du conseil d’administration et retire donc son offre de rachat. Il exprime aussi sa volonté de sortir sa structure du capital du groupe informatique.

30 juin. Faute de repreneurs, Atos tombe aux mains de ses créanciers. Les banques et les porteurs obligataires sauvent l’entreprise française grâce à un accord financier prévoyant d’effacer 3,1 milliards des 4,8 milliards d’euros de dette tout en investissant à nouveau environ 1,5 milliard d’euros à parts égales entre les créanciers. L’objectif ? Restructurer la dette avant l’inauguration des Jeux olympiques, dont Atos est un partenaire clé, avant de laisser un nouvel industriel entrer au capital.

Tom Laufenburger