Récemment classé comme le premier fonds européen et numéro deux au monde avec ses 700 participations et 27 milliards d’euros d’actifs sous gestion, Bpifrance se positionne comme un acteur incontournable du capital-investissement en Europe. José Gonzalo directeur exécutif en charge du capital-développement, revient sur le succès de la thèse d’investissement du fonds. 

Décideurs. En tant qu’investisseur minoritaire, exclusivement en France, et avec une mission d’investissement d’intérêt général, comment expliquez-vous vos performances  par rapport aux  autres fonds internationaux ?

José Gonzalo. Nous suivons toujours des programmes stratégiques, comme le plan « France2030 », qui eux-mêmes suivent les grandes évolutions du monde. Ce sont ces thèses qui créent le plus de valeur. Nous étions par exemple actionnaires de Neoen depuis 2014, la société productrice d’énergies renouvelables, qui vient de faire l’objet d’une OPA de la part du fonds canadien Brookfield. L’opération représente un retour sur investissement extraordinaire pour Bpifrance. Ces fonds seront réinvestis entièrement dans de futures sociétés de notre portefeuille. Notre but est de toujours aider au développement d’entreprises mais pour qu’elles prennent de l’ampleur, elles doivent être en phase avec l’évolution du monde. Une bonne recette, puisque Bpifrance réalise en moyenne un multiple de 3 sur l’ensemble de ses opérations.

"L’OPA du fonds Brookfield sur Neoen démontre qu’il reste encore beaucoup de dry powder"

Quels sont les secteurs qui attirent le plus votre attention en 2024 ?

Bpifrance est un investisseur généraliste. Parmi les 700 entreprises en portefeuille, 50 % ont une activité industrielle. Nous intervenons également sur les sujets de transition climatique, dans la santé, le nucléaire, la défense, notamment la cybersécurité, et bien sûr l’intelligence artificielle. Nos thématiques correspondent toujours aux grandes transformations de l’économie et l’objectif est de contribuer à créer de futurs champions nationaux de tous ces domaines.

Quel regard portez-vous sur le ralentissement du marché du capital-investissement ?

Beaucoup de fonds, qui ont acheté cher des entreprises, voudraient aujourd’hui les vendre à un montant au moins aussi élevé. En conséquence, les valorisations restent hautes alors qu’il est encore plus difficile d’emprunter pour acheter. Mais les actifs ne vont pas rester éternellement en portefeuille, les fonds vont être obligés de clôturer des véhicules pour rendre l’argent à leurs LPs. Tout ceci penche pour une prochaine baisse des valorisations, ce qui devrait redynamiser le marché à partir du deuxième semestre 2024. Bien que les industriels s’imposent de plus en plus à l’achat, face aux fonds, l’OPA du fonds Brookfield sur Neoen démontre qu’il reste encore beaucoup de dry powder. Autrement dit, de l’argent déjà levé à déployer., puisque la société est valorisée à 6,1 milliards d’euros.

"Les acteurs classiques du private equity vont avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête"

Comment réagiraient les investisseurs en cas d’aggravation du ralentissement du marché private equity ?

Avec la nécessité de vendre pour remonter des fonds à leur Lps, les acteurs classiques du private equity vont avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Le risque est que les souscripteurs soient déçus par ces remontées, ce qui contribuera à concentrer leurs futures allocations d’actifs vers les fonds les plus performants et donc encourager une concentration du marché. Mais je suis assez confiant, les entreprises françaises  vont bien, leurs sous-jacents sont solides. Les acteurs du private equity finiront par investir ; cette fois-ci non pas en pariant exclusivement sur un multiple d’achat augmenté à la sortie mais sur une hausse de l’Ebitda, donc la capacité de l’entreprise à créer de la richesse. Mécaniquement, la valeur à la revente améliorera les multiples.

Dans un marché en berne, peut-on tout de même voir des signaux positifs ?

Notre portefeuille, représentatif de l’économie française, l’atteste. À part certains secteurs, les valorisations des entreprises s’améliorent. La réindustrialisation continuera à dynamiser davantage cette tendance, en particulier dans les territoires. Prenez l’exemple d’Alstom, dont nous sommes investisseurs, malgré une correction en octobre dans l’estimation de son cash, le carnet de commandes de la société est plein pour les cinq prochaines années, ce qui représente 95 milliards d’euros. Tous les pays s’arrachent les trains Alstom ! Il faut toujours relativiser la santé des sociétés.

 

Propos recueillis par Céline Toni