Le droit pénal du travail et les enjeux liés à la santé et à la sécurité en entreprise sont majeurs pour les entreprises et les employeurs, la France étant particulièrement confrontée à ces problématiques par rapport aux autres pays européens (3,3 pour 100 000 accidents mortels en France en 2021, contre 1,8 en moyenne dans l’Union européenne). Les entreprises doivent se saisir de ce sujet pour maîtriser les risques afférents.

Si la sécurité et la santé au travail relèvent en grande partie des problématiques liées au droit du travail et au droit de la sécurité sociale, les enjeux pénaux induits ne doivent pas être négligés.

En effet, tant le Code du travail que le Code pénal sanctionnent pénalement différentes atteintes, qu’il s’agisse d’infractions "spéciales" aux règles de sécurité édictées par le Code du travail, ou d’infractions "générales" d’atteintes aux personnes, tels que les coups et blessures ou les homicides involontaires. Il convient de rappeler que les responsabilités pénales de la personne morale et de son dirigeant (ou son délégataire, le cas échéant) peuvent être recherchées cumulativement.

Outre le caractère "infamant" de la condamnation pénale en elle-même, les sanctions potentielles ne sont pas négligeables (emprisonnement, amende, affichage ou publication de la décision, etc.).

Par ailleurs, l’enjeu financier ne se résume pas aux sanctions pénales, mais va au-delà : en effet, si l’action civile du salarié ou de ses ayants droit devant les juridictions pénales est irrecevable en cas d’accident du travail, celui-ci peut se tourner vers les juridictions de la sécurité sociale, exclusivement compétentes, pour solliciter la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur permettant l’indemnisation civile de la victime. Or, en cas de condamnation pénale, une condamnation devant le pôle social sera quasi automatique, avec des montants pouvant être très conséquents.

En premier lieu, la maîtrise du risque pénal lié aux accidents du travail passe, évidemment, par la prévention. Les employeurs doivent être extrêmement vigilants au respect des dispositions du Code du travail relatives à la santé et à la sécurité, notamment en tenant à jour le Duerp et en mettant en œuvre les mesures pour remédier aux risques identifiés. Les audits réguliers et les formations continues des salariés sur les procédures de sécurité sont indispensables pour réduire les risques.

En second lieu, le dirigeant d’une entreprise, à partir d’une certaine taille ou d’une certaine configuration des sites, a tout intérêt à mettre en place un schéma de délégation de pouvoirs efficace, afin de transférer à un délégataire, au plus proche du terrain, des attributions, notamment afférentes à l’application des règles d’hygiène et de sécurité, et la responsabilité pénale afférente. Ces délégations supposent néanmoins que le délégataire dispose de la compétence, de l’autorité et des moyens pour mener à bien les missions qui lui ont été déléguées, faute de quoi l’effet "écran" de la délégation ne pourra jouer.

Malgré les mesures de prévention, l’accident du travail peut néanmoins survenir, et l’employeur doit alors savoir faire face à l’enquête pénale qui sera diligentée. Classiquement, en cas d’accident du travail grave, les services de police et de gendarmerie se rendent sur place afin de procéder aux constatations d’usage. L’inspection du travail, informée par les services enquêteurs, par la victime ou sa famille, voire par l’employeur lui-même, va également diligenter une enquête.

Dès la survenance d’un accident grave, il est nécessaire d’appeler évidemment au plus vite les secours, de figer la scène et d’en interdire l’accès aux salariés, d’arrêter les machines en cause, et de recueillir les premiers éléments sur l’accident (témoignage, photographies, etc.).

La déclaration d’accident du travail doit être réalisée au plus vite, et, en tout état de cause, dans les 48 heures. Il peut être pertinent de prendre l’initiative de contacter tant l’inspection du travail que les services de police ou de gendarmerie pour les informer de la survenance d’un accident, afin que l’enquête se déroule dans les meilleures conditions possibles. En tout état de cause, en cas d’accident du travail mortel, l’inspection du travail doit être informée dans les 12 heures.

Durant la phase d’enquête, il est essentiel d’être accompagné par un cabinet spécialisé dans le domaine : il va s’agir de recueillir les éléments sollicités par les services enquêteurs, de répondre à leurs sollicitations et à leurs interrogations, et, la plupart du temps, de participer aux auditions libres qui seront organisées.

L’inspection du travail dispose de larges pouvoirs durant l’enquête, l’autorisant entre autres à demander la communication de divers documents, à entendre des salariés ou l’employeur (notamment en audition libre pour ce dernier), ainsi qu’à  procéder à des injonctions (par exemple en matière de vérification de conformité de machines et de remise en conformité avant redémarrage).

Attention au délit d’obstacle dans le cas où l’employeur déciderait de ne pas déférer aux prérogatives de l’inspection du travail. À la fin de son enquête, l’inspection du travail transmettra un procès-verbal au procureur de la République, qui décidera des suites à y donner, conformément aux dispositions de l’article 40 du Code de procédure pénale. Si les personnes mises en cause sont alors informées des infractions visées et des peines encourues, elles n’auront pas, à ce stade, la copie de ce procès-verbal.

Le procureur de la République pourra alors décider de poursuivre l’enquête s’il l’estime nécessaire, puis il ordonnera soit un renvoi devant le tribunal correctionnel, soit un classement sans suite. Le plus souvent, seront poursuivies les personnes morales, les personnes physiques ne l’étant que lorsqu’elles auront commis personnellement des manquements relativement graves.

Dès lors que le tribunal correctionnel aura été saisi (ou que le dossier aura été classé sans suite), l’avocat pourra en solliciter une copie. Néanmoins, cette copie n’est souvent transmise que quelques semaines avant l’audience au regard du manque de moyens matériels des juridictions.

Au demeurant, l’étude conjointe et minutieuse du dossier par le prévenu et son conseil assurera la bonne définition de la stratégie de défense à adopter, ou, le cas échéant, sa confirmation. L’audience en elle-même est alors une phase à fort enjeu, tant juridique que psychologique, pour toutes les parties. Si les prévenus peuvent valablement être représentés par un avocat, il est très fortement conseillé de se présenter à l’audience, sauf impossibilité devant être justifiée.

Lors de l’audience, le magistrat commencera par procéder à une instruction du dossier, en mettant en avant les éléments révélés lors de l’enquête, et en interrogeant les parties. Vient ensuite le temps de la plaidoirie des éventuelles parties civiles, des réquisitions du Parquet et de la plaidoirie en défense. La décision est alors, le plus souvent, rendue quelques semaines plus tard, mais le jugement ne sera rédigé que de nombreux mois après, alors même que la décision d’interjeter appel doit être prise dans les dix jours du prononcé de la décision.

Le risque pénal lié à la santé et à la sécurité au travail n’est ainsi pas une fatalité : outre les aspects de prévention qui sont centraux, l’adoption de bonnes pratiques et un accompagnement solide garantissent également la bonne défense de l’entreprise et de ses dirigeants.

Ludovic Genty, avocat associé chez Fromont Briens 

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