À moins de 40 ans, l’avocate à l’allure parisienne est devenue l’une des pénalistes les plus en vue de sa génération. Sur son tableau de chasse, l’escroquerie du siècle, l’affaire de la taxe carbone contée dans la série à succès réalisée par Xavier Giannoli D’argent et de sang.
Julie Fabreguettes, comme au cinéma
Il y a des affaires culte au point qu’on en fait des fictions. Le public s’approprie l’histoire et bientôt Mesrine, Pablo Escobar, ou encore Marco Mouly paraissent si proches qu’ils pourraient être de la famille. Mais les vrais chanceux sont ceux qui vivent ces affaires dans l’ombre et de l’intérieur. Ce fut le cas pour Julie Fabreguettes avocate qui a grandi entre la France et le Maroc et qui a défendu les suspects de la célèbre escroquerie à la taxe carbone. Lorsqu’elle évoque ce dossier si particulier, elle reconnaît que c’est une chance d’avoir travaillé sur une affaire de cette envergure dès ses premières années de barre. Cette chance, elle l’a saisie lorsqu’elle exerçait aux côtés d’une figure du barreau pénal formé par Georges Kiejman, Jean-Marc Fédida, qu’elle considère comme son mentor et à qui elle s’est associée en 2017 avant de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale quelques années plus tard. Une trajectoire à grande vitesse.
Sciences bof
Il y eut pourtant un faux départ dans la carrière de la brillante pénaliste. Ses premières tentatives pour pénétrer le bureau des grands ténors sont restées vaines. Son CV hors normes et ses expériences dans les grands cabinets d’affaires en arbitrage international avaient pourtant de quoi séduire. Mais l’on n’entre pas comme ça dans le Saint des saints. En cause : sa formation initiale. Il faut dire que Julie Fabreguettes est "un pur produit de science Po" Paris, ce qui ne plaît qu’à moitié. À l’époque, les doubles formations ne sont pas légion. Pas découragée pour un sou, Julie Fabreguettes s’affaire à prouver qu’elle a une âme de pénaliste et part faire ses classes à la Cour pénale internationale. Elle y exercera pendant six mois au sein de deux équipes de défense. Une expérience passionnante, mais quelque chose la chiffonne. Le côté très institutionnel de la Cour pénale internationale peut-être, les difficultés à protéger les victimes, à recueillir des preuves la tourmentent.
On l’imagine capable de réinventer le métier, de s’attaquer, sans crainte, aux sujets du moment, aussi épineux soient-ils
Juin 2012, son amour du vélo en poche, elle retourne à ses amours parisiennes. Cette fois, elle convainc. Mais Jean-Marc Fédida, pour qui son parcours à Science Po est un atout, la prévient : elle s’apprête à rejoindre une secte. Le "côté baptême du feu" ne lui fait pas peur. Julie Fabreguettes est attirée par l’ambiance feutrée du cabinet, les œuvres d’art, les livres et la promesse que lui fait l’avocat auprès de qui elle va apprendre le métier de pénaliste : elle fera du pénal des affaires de haut niveau. Elle sera aussi "une avocate avec les pieds", une de celles qui usent leurs chaussures dans les couloirs du Palais de justice.
Lancée corps et âme dans son apprentissage, sortie major au Capa, elle échoue à la conférence du stage. Qu’à cela ne tienne, Jean-Marc Fédida lui propose l’association. Peut-être a-t-il décelé chez elle ce qui saute aux yeux quand on la rencontre : une grande intelligence, une ambition qui n’appartient qu’à elle et quelque chose de résolument moderne. On l’imagine capable de réinventer le métier, de s’attaquer, sans crainte, aux sujets du moment, aussi épineux soient-ils. Et c’est ce qu’elle fera. D’abord chez Fédida Fabreguettes qu’elle s’attelle à moderniser. Ensuite, dans sa propre boutique.
C’est l’horloge des 10 ans qui pousse l’avocate au tempérament remuant à sauter le pas. Fin 2022, elle décide de lancer son cabinet avec trois autres avocats. Il s’appellera VingtRue Avocats. Avec le savoir-faire de Xavier Bouillot, publiciste, on y traitera de dossiers environnementaux – dont Sarah Becker, son autre associée, est spécialiste –, du devoir de vigilance ou encore de compliance. Sans oublier les passions que Julie partage avec Archibald Céléyron, ancien secrétaire de la conférence issu comme elle du cabinet Fédida : le pénal général et la délinquance en col blanc.
Inspiration croisée
Force est de constater que Julie Fabreguettes, discrète sur sa vie personnelle, joue avec brio les équilibristes. L’environnement oui, une défense uniquement en faveur des ONG, hors de question. L’avocate garde le sens des affaires. Son parcours quasi idéal a aussi été marqué par une rencontre littéraire. À la façon d’une réalisatrice de la nouvelle vague, on lui présente lors d’un cocktail organisé par Vanity Fair Karine Tuil, romancière, en pleine préparation des Choses humaines, son onzième roman. Le thème de l’œuvre : la question du viol après l’affaire de Stanford, l’avocate le connaît bien. Leurs échanges dureront toute une année et Julie Fabreguettes dit en avoir beaucoup appris. Et nous confie que le personnage de Juliette Ferré ne lui serait pas étranger.
Envie d’ailleurs
Pour celle qui se rêvait, étudiante, grand reporter, la nature est une source d’inspiration. Passionnée de littérature sud-américaine et du réalisme magique de Gabriel García Márquez, Julie Fabreguettes a profité d’une année de césure pendant ses études pour traverser à cheval et en bus une partie de l’Amérique latine. Un souvenir haut en couleur. C’est d’ailleurs sa seule frustration. Elle voyage toujours, mais son métier ne la conduira pas dans des contrées lointaines. Reste donc à savoir comment cette force vive concrétisera dans l’avenir ses envies d’ailleurs. D’autant qu’elle l’affirme sans détour, "ce fantasme de mourir dans sa robe, ça me fait froid dans le dos".
Mathilde Aymami