Du contentieux à l’arbitrage, c’est le parcours de Shaparak Saleh, associée chez Three Crowns depuis maintenant deux ans. Aussi internationaliste que féministe, l’avocate a cofondé le collectif Femme Azadi.

On pourrait presque dire qu’elle a monté les marches de Cannes. C’était à la quinzaine des cinéastes, en mai 2023, juste avant l’intervention de Quentin Tarantino. Shaparak Saleh avait passé un coup de fil au maire de la ville pour obtenir une place dans les discours du prestigieux festival pour Femme Azadi, l’association qui œuvre pour les droits des femmes iraniennes. Elle l’a appris au fil de sa carrière : si l’on veut quelque chose, il ne faut pas hésiter à demander. Cela vaut pour les promotions. "Quand on estime qu’on remplit les critères pour décrocher une promotion, il faut le dire. On a beau le penser et avoir l’impression que c’est écrit sur notre front, ce n’est pas le cas." L’associée en arbitrage admet avoir mis un peu de temps à le comprendre, "à cause de son côté bonne élève". Et parce "qu’on nous apprend toujours à être sages et à être bien élevées".

Faire du monde un endroit meilleur

Bien éduquée, elle l’a été. Sur la Côte d’Azur, après une halte en Belgique pour venir au monde, un an après la révolution iranienne. Née de parents iraniens et entrepreneurs, elle a grandi dans une maison où la culture perse régnait. Avec, en toile de fond, une atmosphère cosmopolite et une famille éclatée sur le Vieux Continent. "Quand je rends visite à des membres de ma famille, je ne peux pas faire le trajet en voiture", remarque la jeune femme brune avec amusement. C’est donc naturellement qu’elle fait ses classes au lycée international de Sophia Antipolis avant une double maîtrise franco-anglaise entre La Sorbonne et le King’s College. Shaparak Saleh a "toujours eu un sens très aigu de la justice". Elle n’avait pas encore opté pour le droit qu’elle se rêvait politicienne ou journaliste. Elle aime l’économie, la politique et porte, en elle, "cette envie de faire du monde un meilleur endroit". Brillante étudiante, elle suit le filon des parcours prestigieux et se retrouve en filière de droit international privé, sous la houlette du professeur Pierre Mayer. "Tout ça s’est fait de fil en aiguille sans répondre à ma vocation première qui était de défendre la veuve et l’orphelin", analyse-t-elle.

"J’étais l’internationale de l’équipe contentieux et je suis devenue la Française de l’équipe arbitrage"

Toujours en suivant le courant, elle pousse la porte de Freshfields Bruckhaus Deringer, où elle reste plus de dix ans. Il y aura aussi Teynier Pic entre 2018 et 2022, puis enfin, Three Crowns. C’est dans son premier cabinet qu’elle se convertit à l’arbitrage international. Un associé l’appelle à la rescousse pour un dossier d’arbitrage pour une annulation impossible à obtenir en France. Elle l’obtient. Alors, l’équipe d’arbitrage de Freshflieds, en manque de francophones, la sollicite de plus en plus. Elle se souvient : "Vers 2010, son activité se composait à 80 % de dossiers d’arbitrage et à 20 % de contentieux. En 2011, on m’a demandé de choisir. J’étais l’internationale de l’équipe contentieux et je suis devenue la Française de l’équipe arbitrage." Chez Three Crowns, on la reçoit comme un mouton à cinq pattes. Les avocats en arbitrage qui donnent un peu dans le contentieux, ça ne court pas les rues de Paris. Un tel parcours ne s’improvise pas. Pour Shaparak Saleh, avocat c’est un métier où l’expérience s’acquiert à la sueur de son front. "En arbitrage, on ne fait jamais la même chose. C’est ce qui rend le métier excitant, mais aussi vertigineux. Il faut devenir archi spécialisé sur une question le temps d'un dossier." Au point de pouvoir contredire un expert en dessalement d’eau de mer par exemple. L’avocate dort peu : "Maintenant, je prends des notes pendant la nuit, parce que j’ai beaucoup d’idées dans ce créneau horaire." Ses nuits lacunaires ne lui ôtent pas sa bonne humeur. Le rire au bord des lèvres, Shaparak est de bonne compagnie. 

Flamme féministe

Si elle se résigne à ne pas travailler sur son temps off, elle avoue avoir du mal à déconnecter. "Un chirurgien, quand il part en vacances, n’emporte pas son bloc et ses instruments. Alors qu’un avocat, tout est dans son cerveau, qu’il traîne partout avec lui." Cette profession un brin envahissante, elle doit aussi l’accommoder avec ses trois enfants. "Ma recette du succès c’est d’avoir un compagnon très présent sur lequel je peux compter et de n’avoir jamais lésiné sur l’aide que je pouvais obtenir des nounous, à défaut de famille à Paris", déclare celle qui enchaîne les longueurs à la piscine pour se détendre. Véritables sanctuaires, l’heure du dîner et les week-ends sont consacrés à sa famille. Une organisation qui paie : à l’école, c’est elle que sa fille de 15 ans a choisi de présenter devant sa classe d’italien alors que ses camarades s’épanchaient sur Kim Kardashian ou des footballers. La consigne : "Faire un exposé sur une personne que vous admirez." On peut déceler dans ce tendre épisode le couronnement de quinze ans d’efforts pour prendre confiance en elle, pour bâtir sa carrière, et autant d’années à mener des batailles politiques pour avancer.

Depuis plus d’un an, elle a investi un autre terrain de guerre : celui des femmes en Iran. "J’ai réussi à injecter dans mon quotidien cette dose de droit humanitaire qui était quelque chose qui m’avait motivée pour faire du droit", se réjouit-elle. Avec une dizaine de femmes franco-iraniennes, elle a fondé le collectif Femme Azadi, au lendemain du meurtre de l’étudiante Mahsa Jina Amini à Téhéran, le 16 septembre 2022, pour essayer de "porter la voix du peuple iranien ici en France." D’où l’intervention de son collectif sur le tapis rouge de Cannes. "On essaie de sensibiliser la population française sur ce qu’il se passe factuellement et juridiquement là-bas." Son dernier voyage en Iran en 2006 a réveillé chez elle la flamme du féminisme. Et pour cause, sa sœur et elle avaient interdiction de remonter dans l'avion pour Paris à défaut d'un homme pour autoriser leur voyage. "J’ai trouvé le fait d’être une citoyenne de seconde classe insupportable." Et d’ajouter : "J’ai décidé que je n’y retournerai plus tant que ce régime resterait au pouvoir." Si elle-même n’a pas fui le régime, les horreurs perpétrées dans le lieu de ses racines ont marqué son ADN.

Est-ce là l’origine de son côté belliqueux ? Elle assure s’être assagie avec le temps, mais confie que les membres de son association l’appellent la "king". "Parce que je suis à fond et un peu autoritaire." Elle se dit d’ailleurs très impressionnée par les associés qui arrivent à se satisfaire d’un document en n’y apportant que de menues retouches. Pour adoucir son côté contrôle freak, il se pourrait qu’elle monte le son de ces tubes des années quatre-vingt-dix et deux mille dont elle raffole ("No scrubs, TLC, vous vous souvenez ?") ou qu’elle s’offre un cadeau après une audience. Des chaussures, un sac, un rouge à lèvres. "Heureusement qu’on n’a pas 350 audiences par an."

Anne-Laure Blouin

 

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