Depuis plus de dix ans, Alexis Deborde imagine et déploie des services consacrés aux professions juridiques. Plateforme de recrutement (Carrières-juridiques.com), agence de communication et de marketing (Leganov), organisme de formation (SideQuest), société d’investissement dédiée aux start-up du droit (LegalStorm)… Ce serial entrepreneur, qui érige l’accès au droit en but ultime, développe depuis deux ans une legaltech qui facilite l’accès à la preuve : Smartpreuve. Entretien.
Alexis Deborde (Smartpreuve) « Se réapproprier le droit grâce à l’IA et les nouvelles technologies »
Décideurs Juridiques. L’intelligence artificielle s’apprête à révolutionner le monde du droit. Dans un sens positif, selon vous ?
Alexis Deborde. Je pense que, grâce à l’IA, le justiciable va se réapproprier le droit. L’IA simplifie certains process, certaines procédures qui sont aujourd’hui complexes et chronophages, et rend ainsi l’accès au droit plus facile. Cela à différents niveaux.
Smarpreuve est une legaltech qui facilite l’accès au droit en simplifiant l’accès à la preuve, pouvez-vous nous expliquer ?
La question de l’accès à la preuve est intimement liée à celle de l’accès au droit. En effet, pour que le droit soit effectif, pour que la Justice joue son rôle, il faut des preuves. Cela s’applique aux particuliers comme aux entreprises et dans une infinité de secteurs et de situations. Dans la réalité, rares sont ceux qui ont le réflexe de récolter des preuves pour anticiper un risque ou en vue d’un potentiel conflit, d’une potentielle négociation. Encore plus rares sont ceux qui contactent un commissaire de justice (comme un huissier). Je suis convaincu que la collecte de preuves doit être une commodité accessible à tous et que le commissaire de justice doit faire partie de ce dispositif. C’est fort de ce constat que j’ai décidé de créer Smartpreuve, une webapplication qui permet, en moins d’une minute, et pour quelques euros, de collecter des images (photos, vidéos ou impressions d’écran) ayant une valeur probante reconnue par les tribunaux et transmissibles à une étude de commissaire de justice à proximité.
Plus concrètement, comment cela fonctionne-t-il et quelles sont vos garanties techniques ?
L’utilisateur prend une photo ou une vidéo par l’intermédiaire de notre webapplication Smartpreuve, ce qui nous permet de garantir que l’image n’est pas transformée et de collecter certaines informations de contexte (la géolocalisation, le terminal utilisé…). L’ensemble de ces éléments sont signés électroniquement et ancrés sur la blockchain afin de garantir l’horodatage. Le tout produit un rapport technique dont les éléments seront recevables devant les tribunaux. Lorsque nos utilisateurs ont besoin d’un moyen de pression supplémentaire pour négocier ou faire valoir leur droit, le rapport technique peut être transmis à un commissaire de justice qui rend un récépissé de dépôt et peut proposer à l’utilisateur de se déplacer sur site pour procéder à la rédaction d’un procès-verbal de constat.
"La question de l’accès à la preuve est intimement liée à celle de l’accès au droit. Pour que le droit soit effectif, pour que la Justice joue son rôle, il faut des preuves. Cela s’applique aux particuliers comme aux entreprises et dans une infinité de secteurs et de situations"
Une application qui s’adresse aux particuliers, mais aussi aux professionnels ?
Bien sûr. On peut tous connaître des situations potentiellement conflictuelles. Entre voisins, avec un artisan dans le cadre de travaux, pour obtenir le dédommagement après un sinistre... Le souci, dans ce type de situation, c’est que le justiciable ne pense pas à collecter de preuves, ou prend de simples photos avec son smartphone qui pourront faire l’objet de contestation a posteriori car rien ne prouvera qu’elles n’ont pas été falsifiées, par exemple avec une IA. Smartpreuve apporte des garanties probantes et pour une somme modique (29 euros HT mois pour un abonnement illimité et 8,25 euros HT par transmission à un commissaire de justice). Notre but est aussi d’encourager les entreprises et les justiciables à collecter des preuves par anticipation lorsqu’une situation à risque peut se présenter (ex. : état des lieux, livraison de marchandises…). Notre solution intéresse aussi des partenaires comme les assurances, les courtiers et les réseaux qui souhaitent encourager les bonnes pratiques au sein de leurs adhérents et, le cas échéant, avoir à leur disposition des éléments probants utiles dans le cadre d’une subrogation.
Et l’IA dans tout ça ?
Aujourd’hui, Smartpreuve n’utilise pas l’IA dans le cadre de la collecte d’une image. C’est essentiel pour garantir la sincérité des fichiers collectés par l’intermédiaire de notre webapplication. Néanmoins, les données collectées sont fiables et peuvent être analysées a posteriori par l’IA pour identifier et qualifier à partir d’une photo un fait juridique pouvant être l’objet d’un différend. L’IA peut ainsi analyser les preuves collectées au regard des contrats signés, des pratiques du groupe et des données de lois et de jurisprudence pour accompagner les différents agents de l’entreprise dans la gestion d’un sinistre ou d’un différend. Dans ce contexte, nous travaillons actuellement avec la société Prime Conseil spécialisée en contract management pour permettre à Smartpreuve de faciliter la formalisation de réclamations ("claim") dans le cadre de grands chantiers gérés par leurs clients. Les enjeux sont colossaux quand on sait que 40 % des retards et des coûts supplémentaires des grands chantiers d’infrastructures sont liés à une mauvaise gestion des claims !
Ce n’est pas votre premier projet dans le monde du droit, secteur que vous connaissez particulièrement bien…
Effectivement, puisque depuis plus de dix ans, je développe des projets qui ont vocation à rendre le droit plus accessible. D’un côté, avec des services qui accompagnent et épaulent les professionnels du droit, leur permettant ainsi d’être plus performants. C’est dans cette idée que j’ai créé Leganov, une agence de communication qui accompagne les cabinets d’avocats dans leur croissance, et SideQuest, un organisme de formation qui a formé depuis sa création près de 5 000 professionnels du droit dans l’acquisition de nouvelles compétences. De l’autre, en développant des outils qui permettent aux justiciables d’accéder plus facilement au droit comme Smartpreuve.
Votre engagement en faveur de l’accès au droit ne s’arrête pas là puisque vous êtes à l’origine de LegalStorm, une société d’investissement tournée vers les legaltechs. Pouvez-vous nous en dire plus ?
LegalStorm c’est 80 actionnaires avocats, commissaires de justice, notaires, juristes d’entreprise qui se sont réunis depuis 2020 pour accompagner et financer des start-up du droit afin d’être acteurs de la transformation de leur industrie. Depuis quelques mois, on constate que l’arrivée de l’IA vient accélérer à nouveau fortement la transformation du marché du droit en permettant de réaliser des projets qui jusqu’à présent n’étaient pas réalisables et en attirant de nouveaux talents issus des grandes écoles d’ingénieur et de commerce qui apportent un regard nouveau sur le secteur. Pour répondre à ces nouveaux défis, Legalstorm s’est organisé depuis quelques mois pour devenir une large communauté de professionnels du droit business angel qui pourront investir directement dans le cadre de SPV dans des projets que nous aurons audités et sélectionnés – cinq projets vont être présentés d’ici à la fin 2024. Notre objectif est simple : participer à la structuration d’un écosystème d’investissement qui est indispensable au développement des start-up du droit.
Propos recueillis par Capucine Coquand