Associant compétences juridiques et analyse économique, les avocats du cabinet Fréget Glaser & Associés s’illustrent en tant que spécialistes du droit de la concurrence. Ils accompagnent de grands groupes comme Google, Free, Total ou encore Transatlantis. Entretien.

Décideurs. La force de votre cabinet repose notamment sur l’analyse économique des problèmes juridiques qu’il propose. Pourquoi cela vous semble-t-il important et comment cela se traduit-il en pratique ?

Antoine Labaeye. Notre positionnement est le suivant : nous étudions la problématique économique de nos clients et nous leur proposons des solutions juridiques.

Il nous apparaît essentiel de pouvoir jongler entre les différentes branches du droit (concurrence, commercial, réglementaire) et forums (tribunaux et autorités de régulation) afin de répondre au mieux aux problématiques économiques de nos clients.

Elsa Thauvin. Les juges n’hésitent pas à ordonner une expertise judiciaire lorsqu’ils considèrent ne pas disposer de l’ensemble des éléments leur permettant d’apprécier l’existence et l’étendue des préjudices ­invoqués.

Justifier économiquement de ceux-ci est un moyen de limiter le risque qu’une expertise judiciaire – longue, coûteuse et à l’issue incertaine – soit ordonnée par le juge. Dans ce cadre, il peut être opportun qu’une même partie présente au juge des rapports d’économistes privés établis par des cabinets différents reposant sur une méthode d’évaluation différente, mais aboutissant à des montants convergents. C’est le sens, nous semble-t-il, de l’arrêt Digicel de la Cour de cassation du 1er mars 2023.

Selon vous, comment les autorités de la concurrence peuvent-elles faire face à la numérisation de l’économie ?

A. L. Le rôle des autorités de concurrence est de sanctionner un comportement qui ne respecterait pas les règles de concurrence. Il ne leur appartient pas de réguler l’économie, y compris numérique.

Avant tout, le principe est la liberté d’agir sur un marché. Le droit de la concurrence n’est pas là pour freiner l’innovation et le développement économique de l’entreprise, quelle qu’elle soit.

E. T. Les textes européens et français ne confient pas aux autorités de concurrence une mission de régulation des données puisqu’elles ne sont pas des régulateurs. Leur rôle est supposé se limiter à déterminer si les conditions d’accès aux données et de monétisation de ces dernières sont conformes aux règles de concurrence.

Face aux enjeux liés aux data, les autorités de concurrence semblent élargir leur champ d’action. À titre d’illustration, dans l’affaire C-252/21 du 4 juillet 2023 concernant Meta, la CJUE a dit pour droit qu’une autorité de concurrence nationale peut ­tenir compte, dans le cadre de l’examen d’un abus de position dominante, d’une violation du Règlement européen de protection des données qu’elle constaterait, au besoin en coopérant avec les autorités veillant au respect du RGPD.

Le président de l’Autorité de la concurrence et la présidente de la Cnil ont rappelé que la protection des données personnelles est un paramètre concurrentiel et que celle-ci peut passer par une concurrence effective notamment entre les plateformes du ­numérique.

Nous pouvons nous demander si les autorités de la concurrence ne sont pas en train d’empiéter sur la compétence des régulateurs de la donnée. Reste à déterminer quel en serait le fondement textuel. Si l’atteinte de la souveraineté économique est un objectif audible d’un point de vue politique, juridiquement c’est une autre question.

Vous intervenez dans le domaine des secteurs régulés. Quelles sont vos missions dans ce secteur ? Quelles tendances avez-vous observées en 2023 ?

E. T. Nous intervenons notamment dans les secteurs de l’énergie, des jeux d’argent et de hasard, du numérique, pharmaceutique, et des médias et des télécommunications.

Les problématiques liées aux données, aux nouvelles technologies, à l’environnement et à la santé prennent une place de plus en plus importante.

A. L. Dans le secteur de l’énergie, on observe une régulation de l’ensemble des sujets liés au développement des services d’efficacité énergétique et renouvelable, dans lesquels nous sommes impliqués. Il y a évidemment la bataille autour de l’accès au nucléaire d’EDF qui est un pilier central, avec la nécessité de faire comprendre que le dispositif de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique a uniquement vocation à faire en sorte que, quel que soit leur fournisseur d’énergie, tous les consommateurs puissent bénéficier de l’électricité d’origine nucléaire et que les fournisseurs puissent exercer une concurrence non faussée.

"Du côté des demandeurs, il est clair que la possibilité de recourir au financement de litiges ainsi que la possibilité - qui est en discussion au ­Sénat - de pouvoir introduire des actions de groupe permet de réduire l’asymétrie des forces entre victimes et ­fautifs"

Les actions indemnitaires engagées à la suite d’une décision de sanction de l’Autorité de la concurrence se multiplient ces dernières années. Cette évolution du contentieux a-t-elle un impact sur les stratégies de défense ?

A. L. Du côté des demandeurs, il est clair que la possibilité de recourir au financement des litiges ainsi que la possibilité – qui est en discussion au Sénat – de pouvoir introduire des actions de groupe permettra de réduire l’asymétrie des forces entre victimes et fautifs. Il y a désormais une vraie possibilité d’obtenir réparation.

Nous accompagnons notamment le plus grand fonds de financement de litiges indemnitaires en Europe qui monte une action depuis plusieurs années dans laquelle nous sommes impliqués afin d’obtenir l’indemnisation des victimes restaurateurs et autres commerçants acceptant les titres restaurant.

Ces deux éléments, le regroupement des victimes et la possibilité d’un financement externe, impactent évidemment les ­stratégies contentieuses.

E. T. L’Autorité de la concurrence a encore rappelé récemment que la procédure de clémence était un outil essentiel de détection des pratiques anticoncurrentielles.

Si la demande de clémence permet au demandeur d’éviter (totalement ou partiellement) une sanction devant l’Autorité de la concurrence, elle ne le protège pas d’une éventuelle action indemnitaire à son encontre. Eu égard aux condamnations potentiellement très élevées auxquelles elles s’exposent dans le cadre des contentieux indemnitaires, les entreprises ayant participé à un cartel pourraient réfléchir à deux fois avant d’introduire une demande de clémence. Même dilemme pour les entreprises qui envisagent de recourir à la procédure de transaction devant l’Autorité.

Selon vous, quels sont les enjeux futurs du droit de la concurrence ?

A. L. L’accès à la preuve dans les contentieux constitue un enjeu majeur. Les juges sont de plus en plus réticents à accorder de manière non contradictoire les mesures prévues à l’article 145 du Code de procédure civile (CPC), notamment la possibilité de saisir chez une entreprise des documents établissant la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.

Il faut pourtant que les entreprises plaignantes puissent bénéficier d’un niveau de preuve suffisant et que ce ne soit pas l’asymétrie d’information qui fasse échec à leur possibilité d’indemnisation. Les juges chargés de ces contentieux doivent en prendre conscience.

"Le droit de l’Union est très clair quant au fait que les victimes ne doivent pas subir une charge trop importante pour prouver leur préjudice" 

E. T. Pour s’opposer à une procédure fondée sur l’article 145 du CPC les entreprises invoquent quasi systématiquement la ­protection de leurs secrets d’affaires.

Le droit des entreprises à la protection de ces secrets doit être mis en balance avec la nécessité pour les victimes de disposer des éléments leur permettant d’établir l’étendue et le quantum de leurs préjudices alors que les preuves peuvent être détenues par ­l’entreprise fautive.

L’impossibilité pour les victimes d’obtenir l’ensemble des éléments nécessaires à cette démonstration a une incidence sur leur capacité à démontrer le préjudice allégué et à obtenir une réparation intégrale de celui-ci. Cette situation apparaît incompatible avec le droit de l’Union qui est très clair quant au fait que les victimes ne doivent pas subir une charge trop importante pour prouver leur préjudice.

Le développement de la compliance constitue également un enjeu important pour le futur du droit de la concurrence. L’idée est d’anticiper les problèmes de manière concrète et de voir comment nous pouvons y remédier avant que la situation ne dégénère. L’année dernière, l’Autorité de la concurrence a publié un nouveau programme sur la conformité des entreprises. En droit de la concurrence, il est ainsi nécessaire pour l’entreprise d’avoir notamment une cartographie des risques et un dispositif de lanceurs d’alerte.

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