Quelles sont les conséquences de la crise sanitaire sur l'activité des fusions-acquisitions ? La grande distribution est-elle à plaindre ? Qui sont les gagnants de ces derniers mois ? Bilan avec Stéphane Vanbergue, l’un des associés fondateurs de Eight Advisory.

Décideurs. Le nombre de transactions a chuté avec la crise de Covid-19 et le premier confinement. Quel bilan tirez-vous à quelques semaines de la fin de l’année 2020 ?

Stéphane Vanbergue. L’abondance de capitaux à déployer chez les fonds de private equity, conjuguée à un nombre réduit de cibles, a fait grimper les valorisations. Les actifs considérés comme résilients ou qui surperforment l’environnement de marché affichent des multiples très élevés et des processus dominés par des offres préemptives comme en 2006-2007. Cela a récemment été le cas d’Elsan, de Colisée, de Kersia, de Meilleurtaux ou encore de Questel. Au-delà des opérations secondaires ou primaires, l’intérêt des capital-investisseurs se porte également sur l’environnement coté, à travers des prises de participation minoritaires aux côtés d’un bloc majoritaire dans des conditions plus favorables.

Ainsi, la performance d’Eight Advisory pour 2020 s’annonce au niveau de la précédente. Même si l’activité a souffert pendant le confinement – avec une baisse significative de 30 % au deuxième trimestre – les grosses opérations ont repris à la sortie du premier confinement, avec de nombreux processus de préemption. La pugnacité des fonds d’investissement nous a permis d’enregistrer nos plus hauts historiques entre juillet et octobre. Par ailleurs, les multiples procédures de transaction amorcées, sur des actifs résilients, ne s’arrêteront pas malgré le reconfinement. Ce qui nous donne une bonne visibilité sur notre atterrissage 2020 et le lancement de l’année 2021.

Quels sont les acteurs révélés par la crise ?

Certains fonds ont accéléré, à l’image de KKR, jusque-là peu présent en Europe et qui se développe notamment dans la santé, ou du suédois EQT Partners, venu s’implanter en France. De manière générale, les fonds « longs », structurés pour pouvoir garder des actifs au long terme gagnent en visibilité. Quant aux corporates, l’infra et l’énergie soutiennent l’activité. Nous avons notamment travaillé pour EDF, Bouygues, Orange ou Thalès. Certaines sociétés poursuivent leurs activités stratégiques en dépit de la situation actuelle. Ainsi, les détourages d’actifs et les gros rapprochements – qui génèrent des problématiques de concentration, de concurrence ou de position dominante – créeront de nombreuses opportunités, à la vente pour certains groupes ou à l’achat pour des fonds ou leurs participations.

"Certains fonds signent des opérations en préemptif intégralement en fonds propres avant d’aller chercher des partenaires financiers"

Les banques répondent-elles présentes à l’appel ?

La situation est inévitablement plus tendue. Compte tenu de la forte intensité concurrentielle sur les actifs résilients, certains fonds signent des opérations en préemptif intégralement en fonds propres avant d’aller chercher des partenaires financiers, avec parfois un recours à la syndication d’equity. Malgré les multiples élevés de valorisation, les actifs qui en valent la peine trouvent à se financer de façon fluide. De nombreuses opérations importantes s’amorcent et seront très bataillées. D’autant plus que les investisseurs prennent parfois des initiatives sans même être sollicités.

Quelles sont les situations selon les acteurs et les secteurs ?

Les acquisitions considérées comme stratégiques par les corporates se poursuivent. Les entreprises se concentrent sur leur profitabilité ou sur leur cœur de métier, notamment dans l’environnement coté. Nous sommes donc amenés à travailler sur des situations de carve-out, en particulier dans les secteurs affectés par la crise. À l’inverse, des mouvements de rapprochement s’initient dans des secteurs, comme dans le tourisme, où des acteurs parient sur un rebond à moyen-terme et profitent de la perte de valeur de leurs concurrents pour consolider le marché. Quant aux sociétés en portefeuille de fonds d’investissement, soit ils sont dans l’attente, soit ils mènent des opérations relutives en achetant des actifs qui ont souffert.  Ces sociétés s’intéressent également à des cibles internationales, in bonis ou en difficulté.

Quant à la grande distribution alimentaire, dont la situation était compliquée avant le confinement, elle a bien tiré son épingle du jeu et certains acteurs ressortent plus forts de la crise. En revanche, les secteurs de l’événementiel, de l’aérien, de l’hôtellerie, de la restauration, ou encore de l’automobile ont vu l’arrêt des opérations, dont certaines signées ont été dénoncées. Dans certains secteurs, nous avons observé des baisses de chiffres d’affaires de l’ordre de 90 %. Certains de ces actifs sont maintenant traités par nos équipes restructuring.

"Des mouvements de rapprochement s’initient dans des secteurs où des acteurs parient sur un rebond à moyen-terme"

Qu’est-ce que la crise va changer pour le M&A en 2021 ?

Des secteurs ont complètement disparu. En revanche, d’autres ont émergé. Il s’agit des éditeurs de logiciels, notamment en Saas, du gaming, de la santé et des institutions financières, en particulier des moyens de paiement et du courtage d’assurance. De manière générale, le faible volume augmente l’attractivité. Sur les quelques actifs résilients, l’appétit est féroce, avec beaucoup de préemptions et des valorisations élevées. Au premier semestre, les volumes ont baissé de 70 % aux États-Unis, de 40 % dans le monde et de près de 50 % en France. Début 2021, nous nous attendons à travailler sur des opérations de refinancement – covenant reset –, aujourd’hui mises en pause, car l’afflux de PGE a fait office de respiration et les opérations en bris de covenants ont obtenu des waivers. De nombreuses entreprises sous LBO voient leur profitabilité érodée et leur dette gonflée.

Au regard du niveau d’incertitude, comment valoriser une entreprise en 2020 ?

Les due diligences s’articulent autour de la performance normative hors Covid-19, qui peut jouer dans les deux sens. Certaines structures ont pu bénéficier d’un effet d’aubaine, notamment dans la santé, mais celui-ci demeure défavorable pour la grande majorité. L’idée est de comparer la dérive par rapport au budget 2020 et d’évaluer la capacité du management à réaliser un budget fiable sur les années précédentes. Notre travail consiste à déterminer l’écart sur une base mensuelle, pour dépolluer l’Ebitda 2020 de l’effet Covid-19, en regardant l’exercice 2019 et le budget 2021. Chaque cas est particulier, mais nous trouvons toujours un moyen de présenter une valorisation juste. Les mécanismes de locked-box sont toujours privilégiés. Aussi, qu’il s’agisse d’offres préemptives – qui intègrent une prime de préemption – ou d’offres aux enchères, le prix est parfois déjà fixé avant même d’enclencher le processus.

Propos recueillis par Anne-Gabrielle Mangeret

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