De nouvelles règles européennes vont obliger les entreprises à introduire plus de transparence en indiquant la rémunération dans les annonces de postes. Objectif ? Réduire les inégalités salariales entre les hommes et les femmes. Cette législation va également pousser les employeurs à repenser les politiques RH dans leur ensemble.

Parler d’argent reste un tabou en France. Pourtant, certaines entreprises ont décidé de passer outre en proposant une transparence totale sur les rémunérations qu’elles pratiquent. C’est le cas d’Alan. Dès ses débuts en 2016, l’assurtech planche sur une grille pour les salaires et la distribution des actions (BSPCE) en fonction des postes. Depuis, son système a évolué, mais le principe initial demeure. "Rendre les salaires transparents et non négociables revenait à limiter les injustices, les jalousies et les frustrations tout en nous permettant de normaliser nos processus de recrutement et de revue de performance", fait valoir la licorne sur son site internet.

Le savoir, c'est le pouvoir

La question des injustices évoquée par la start-up est centrale. C’est pourquoi l’Union européenne serre la vis en matière de transparence sur les rémunérations. Son but ? Limiter les écarts de salaires entre les hommes et les femmes, actuellement de 13 % sur le Vieux Continent. Pour l’UE, l’accès à l’information est primordial. "Le savoir, c’est le pouvoir", résume Alan.

Les nouvelles règles européennes adoptées en avril 2023, et que les États membres ont trois ans pour transposer dans leur propre législation, obligeront les employeurs à informer les candidats du salaire de départ ou de la fourchette de rémunération initiale des postes publiés. Ils ne pourront plus interroger les candidats sur leur historique de rémunérations. Une fois en fonction, les salariés auront la possibilité de demander à l’entreprise des informations sur les niveaux moyens de rémunérations, ventilées par genre, pour les collaborateurs accomplissant le même travail ou un travail de même valeur. Ils pourront aussi se renseigner sur les critères utilisés pour déterminer la progression de la rémunération et de la carrière, lesquels devront se baser sur des éléments objectifs et non sexistes, précise le Conseil européen.

Autres temps, autres moeurs

Le combat pour plus d’égalité salariale et davantage de transparence dans les rémunérations est porté par les jeunes générations. "Les anciennes générations n’ont pas envie que l’on parle de leur salaire alors que les jeunes sont assez à l’aise avec cette idée, souligne Juliette Matharan, cofondatrice de Polare, spécialiste du turnover dans les entreprises et le désengagement des salariés. Plus une entreprise a une moyenne d’âge élevée plus il existe de freins en interne pour parler de rémunérations." Et donc, souvent, faire bouger les lignes.

Les salaires ou fourchettes sont moins souvent affichés pour les profils seniors que juniors

Le besoin de connaître le salaire de départ est également plus prégnant chez les nouveaux entrants sur le marché du travail. "La rémunération est une information importante notamment chez les plus jeunes qui souhaitent rapidement gagner leur indépendance financière et se montrent déterminés, parfois avec un plan de carrière précis", explique Anne-Laure Cordier, practice manager en recrutement RH chez Michael Page. Par ailleurs, "plus on va vers des profils expérimentés, plus l’expérience va justifier le niveau de rémunération et plus la marge de négociation va s’avérer importante." Les salaires ou fourchettes sont moins souvent affichés pour ce type de profil que pour les profils juniors : seules 36 % des annonces de dirigeants chez Michael Page mentionnent la rémunération.

Salaires peu attractifs

Au-delà de ces éléments, qu’est-ce qui peut expliquer que certaines entreprises n’affichent pas les salaires dans leurs annonces ? "Souvent c’est parce que la rémunération est peu attractive ou, au contraire, trop attractive", ajoute Anne-Laure Cordier. Dans le premier cas, les entreprises préfèrent miser sur leurs autres points forts comme les missions, les valeurs, la culture d’entreprise ou les perspectives d’évolution. Dans le cas des rémunérations dites "trop attractives", c’est la confidentialité qui prévaut. Les recruteurs craignent également de voir des candidats insuffisamment expérimentés par rapport aux attentes, postuler uniquement pour le salaire.

Dans tous les cas de figure, connaître le salaire en amont des entretiens d’embauche pousse les candidats à postuler davantage. "Lorsque l’on met une fourchette dans une annonce, nous constatons qu’elle est davantage consultée et qu’elle engendre plus de candidatures que pour celles où rien n’est mentionné", analyse Anne-Laure Cordier. Selon les données d’Indeed, une annonce qui affiche la rémunération a en moyenne 80 % de clics en plus et 20 % de candidatures supplémentaires. D’ailleurs, d’après une étude menée par Michael Page : 66 % des salariés regardent en priorité le salaire à la lecture d’une annonce. Les entreprises ont donc tout intérêt à rendre publiques ou très claires les rémunérations des postes à pourvoir. D’autant plus que "nous déplorons encore que certains processus de recrutement périclitent au stade final lorsque, par exemple, l’entreprise n’avait pas précisé que le salaire annoncé était sur 13 ou 14 mois et non 12", abonde Anne-Laure Cordier.

Motiver les troupes

Faire preuve de transparence dans le domaine devient un argument de poids pour garder ses salariés. "Étant donné que le salaire donne une valeur au travail, quand les rémunérations et les objectifs sont clairs, vous créez un environnement beaucoup plus transparent où les gens comprennent vraiment l’impact qu’ils ont sur l’entreprise, estime Juliette Matharan. Cela a un effet positif sur la rétention des salariés." Les moins bons négociateurs, qui ne sont pas forcément les moins bons collaborateurs, se trouvent également moins lésés par un système transparent.

"Les travailleurs auront la possibilité de se comparer les uns aux autres dans leur secteur, ce qui pourrait engendrer une compression des salaires"

Toutefois, certains candidats n’adhèrent pas au concept, surtout quand transparence rime avec grille salariale. Quel intérêt ont-ils à travailler plus ou mieux que les autres si cela n’est pas valorisé ? "Une fois en poste, je suis partisane de la méritocratie, il faut récompenser ceux qui travaillent plus efficacement, argue Anne-Laure Cordier. Encourager la performance passe entre autres par la rémunération. Il convient d’afficher le fixe dans l’annonce et de garder une marge de manœuvre pour le variable en mettant des fourchettes plus flexibles pour celui-ci."

Options possibles

Quels chemins pourraient prendre les entreprises afin de répondre au mieux à ces nouveaux enjeux ? Certaines iront sans doute vers une standardisation des salaires mais il est probable que beaucoup réfléchissent à mettre en place des méthodes claires et équitables de manière à rémunérer la performance. "La nouvelle directive va obliger les entreprises à repenser leurs systèmes de rémunérations, estime Juliette Matharan. D’autant que leur politique de rémunérations en dit beaucoup sur leur politique RH : comment est valorisé le travail, y a-t-il du sexisme au sein de l’entreprise, comment se justifient les augmentations, etc. ?" Mais pour la cofondatrice de Polare, "la vraie question est de mettre en place une transparence salariale après coup quand une entreprise affiche de gros écarts de salaires, surtout sur des postes similaires. Généralement quand les collaborateurs se rendent compte des disparités, c’est assez néfaste pour l’entreprise."

Certaines sociétés pourraient être tentées de ne pas jouer le jeu en mettant des fourchettes de rémunérations très larges, en ne précisant pas si le salaire est sur 12 ou 13 mois ou encore en accordant d’autres avantages aux salariés les plus choyés. Néanmoins, la standardisation de la pratique ne devrait pas servir les récalcitrants. "Les travailleurs auront la possibilité de se comparer les uns aux autres dans leur secteur, ce qui pourrait engendrer une compression des salaires, analyse Juliette Matharan. Le salaire deviendra donc moins un argument pour attirer les talents." Reste à savoir comment les entreprises sur des marchés en tension ou dans des secteurs qui ne sont pas très attirants de prime abord arriveront à tirer leur épingle du jeu. Avec sa directive sur les rémunérations, l’UE s’apprête à créer une onde de choc certaine sur toute la politique RH.

Olivia Vignaud

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