« Une entreprise libérée place les hommes au cœur de son ambition, pas les process et les contrôles »
Décideurs. Quelle est votre définition d’une entreprise libérée ?
Clara Gaymard. Pour moi il s’agit d’une entreprise qui ne se laisse plus enfermer dans les organigrammes et les process qui, à l’origine, avaient pour vocation de faciliter la vie de l’organisation et de ses collaborateurs et qui, à force d’empilements successifs, ont fini par épingler les gens comme des papillons et figer les initiatives en remplaçant chez eux l’envie de bien faire par la peur de mal faire. Cette inflation de règles et de strates hiérarchiques a fait perdre de vue la nature même de l’entreprise et de sa mission : travailler ensemble à la réalisation d’un projet commun. Une entreprise libérée place les hommes au cœur de son ambition, pas les process et les contrôles.
Quels sont les avantages à attendre d’une telle organisation et quels risques sont susceptibles d’en découler ?
L’entreprise libérée permet à chacun de trouver sa place dans un monde mouvant parce que tout ce que l’on met en place pour se garantir des risques finit par figer. Le gain premier à en attendre est donc l’agilité retrouvée, le dialogue, la confiance. Je ne dirais pas que ce type d’organisation est source de risque mais plutôt qu’elle est difficile à mettre en place et qu’elle requiert du temps ainsi qu’un véritable travail d’accompagnement afin de s’assurer que chacun, au sein de l’entreprise, a compris quelle était sa place et l’assumait, mais aussi que chacun comprenait quelle était celle des autres, ce qui est essentiel lorsque l’on veut responsabiliser les gens.
Comment s’exprime le pouvoir dans une organisation horizontalisée ?
Tout l’enjeu du « pouvoir » dans ce type d’organisation consiste à donner aux gens les moyens de l’autonomie. À se focaliser sur un objectif commun plus que sur la façon de l’atteindre, tout en définissant les étapes. À s’assurer que chacun est impliqué dans la réalisation du projet collectif et que chacun se sent indispensable. Ce n’est pas le grade qui permet cela.
Le leadership peut-il s’exprimer hors structure hiérarchique ?
On ne doit pas confondre hiérarchie et process. Dans toute entreprise il faut une hiérarchie. Il faut quelqu’un qui décide. Le leadership appartient à ceux qui ont la capacité d’organiser le travail, de permettre que des talents et des personnalités multiples et divers travaillent ensemble à une ambition commune et, encore une fois, à ceux capables de prendre les décisions lorsque, au terme d’un processus de concertation et de discussion collective, celles-ci s’imposent. C’est cela un leader, et c’est aussi quelqu’un qui sait assumer les échecs lorsqu’ils surviennent.
En dehors de cette capacité à trancher et assumer, quelles sont les qualités essentielles d’un leader dans une entreprise libérée ?
Je dirais que les premières sont sans doute la curiosité et la capacité d’écoute, interne et externe : l’aptitude à entendre les avis de ses collaborateurs et celle de capter les signaux d’un monde qui change, de manière à pouvoir, à tout moment, se remettre en question. Un leader doit être capable de douter, non pas par manque de confiance en lui mais pour rester préparé à l’imprévu. Il doit bien évidemment avoir une vision, être pédagogue et dans le dialogue pour donner confiance et inspirer. Enfin il doit être capable de communiquer de la joie ! C’est pour moi une qualité essentielle chez un leader car comment espérer des gens qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes sans moments festifs, sans instants d’exultations collectives, sans plaisir à travailler ensemble ?
Propos recueillis par Caroline Castets