Obligation de sécurité de résultat : comme un air d’incitation à la prévention ?
La Directive 89/391/CEE du 12 juin 1989 entrée en application le 1er janvier 1993, relative à la mise en œuvre de l’amélioration de la santé et la sécurité des travailleurs, consacre les principes généraux de la protection du salarié et marque le cadre de cette notion, en mettant à la charge de l’entreprise une obligation de prévention, et à la charge du salarié sa participation à sa mise en œuvre[1].
La genèse de l’obligation de résultat
Le principe a été consacré en 2002 par les arrêts dits « Amiante » de la Cour de cassation[2] qui mettent à la charge de l’employeur l’obligation de garantir la santé et la sécurité de ses salariés (physique et mentale) au sein de son entreprise.
Arguant de cette obligation, et dès lors que le résultat se produit, l’employeur était automatiquement condamné pour manquement de son obligation de résultat, sans possibilité de s’exonérer de sa responsabilité, en démontrant la mise en place d’une politique active de prévention au sein de son établissement.
Le manquement à cette obligation avait le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du Code de la Sécurité Sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver[3].
L’arrêt « Air France »?: un léger fléchissement de principe
L’arrêt « Air France »[4] relatif à la portée de l’obligation générale de sécurité de l’employeur, marque un fléchissement significatif de la jurisprudence dans l’appréciation par les juges du fond du manquement à l’obligation de sécurité des employeurs.
En l’espèce, le salarié argumentait sa position en faisant valoir que son employeur devait être tenu responsable, au titre de son obligation de sécurité de résultat, de son stress post-traumatique subi par lui, en 2006, conséquence des événements des tours du Wall Trade Center de 2001, dont il avait été témoin.
Dans son arrêt, la Cour de cassation approuve la cour d’appel de Paris et affirme que?: « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail. »
Le résultat de l’obligation
L’effet pervers de l’obligation pure et dure de sécurité de résultat entraînait la négligence par l’employeur de sa politique de prévention puisqu’il suffisait que le risque se matérialise pour que ce dernier soit automatiquement condamné.
La défense ouverte aux entreprises ne vient plus d’une cause extérieure à savoir la démonstration d’un cas de force majeure. L’accomplissement des diligences exigées par l’article L. 4121-2 du Code du travail, référence dans les principes généraux de prévention à la charge de l’employeur, est bien l’indicateur central permettant au juge du fond d’apprécier l’existence ou non d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat.
C’est ce même article qui a fait l’objet d’un élargissement aux agissements sexistes définis à l’article L. 1142-2-1 du Code du travail, applicable depuis le 1er?décembre 2016 au travers de la loi du 8 août 2016[5].
Cette nouvelle précision pourra permettre d’engager la responsabilité de l’employeur sur le fondement de son obligation de résultat, à l’instar de la jurisprudence relative au harcèlement moral au travail.
Dans un arrêt du 1er juin 2016[6], la Cour de cassation avait appliqué l’attendu de principe de l’arrêt « Air France » et ce « notamment en matière de harcèlement moral ». La suite logique serait que cette solution soit transposée au cas d’agissements sexistes.
Reste à savoir si les articles précités sur la prévention à la charge de l’employeur constituent une liste exhaustive des mesures qu’il doit mettre en œuvre dans le cadre de sa mission d’action, de sensibilisation et de formation.
L’employeur est de nouveau responsabilisé, et le cas échéant en capacité de prouver ses diligences en cas de contentieux. Celui-ci sera d’ailleurs épaulé, dans les entreprises remplissant les conditions d’effectifs par un CHSCT qui, dans le cadre de ses missions de prévention des risques professionnels, au travers de la loi travail et particulièrement de l’article 6, peut proposer des actions de prévention.
Les assouplissements de ces dernières jurisprudences sont-elles véritablement de nature à servir la prévention??
En tout état de cause, seul l’employeur qui néglige en amont les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-29 du Code du travail, de nature à prévenir la survenance d’un risque, s’expose à une condamnation.
Il faut néanmoins compter sur les transformations environnementales du travail, qui font apparaître de nouveaux risques professionnels (stress, facteurs psychosociaux) et qui doivent inciter les entreprises à envisager de nouvelles stratégies adaptées, associées à une gestion efficace des accidents du travail et des maladies professionnelles. Car on le voit, des changements s’opèrent, en doctrine et en jurisprudence mais aussi en matière réglementaire avec, entre autres, le décret n°?2016-756 du 7?juin 2016 relatif à l’amélioration de la reconnaissance des pathologies psychiques comme maladies professionnelles.
Ainsi, même si la mise en place d’un système véritablement ambitieux d’incitations financières s’avère nécessaire, les entreprises ont plus que jamais intérêt à placer la prévention au cœur de leurs préoccupations.
Par Annabel Benhaïm et Lydia Turc, cofondatrices. Mar & Law
[1]Article L. 4121-1 du Code du travail
[2] Cass. Soc., 28 février 2002, Bull. 2002, V, n°?81, pourvois n°?00-10.051, 99-21.255, 99-17.201, 99-17.221, et autres
[3] Cass. soc., 28 février 2002, n°?00-11793
[4] Ibid
[5] Article 5 de la loi du 8 août 2016?; Le sexisme dans le monde du travail. Entre déni et réalité?: Conseil supérieur de l’égalité
professionnelle entre les hommes et les femmes,
[6] Cass. Soc., 1er juin 2016, n°?14-19.702?: JurisData