Saïd Hammouche : « La diversité est un atout : elle stimule l’innovation »
Décideurs. Quelles sont les formes de discrimination les plus courantes en entreprise ?
Saïd Hammouche. La première forme de discrimination est bien sûr celle qui s’exerce à l’embauche. Une étude récente de l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV) a révélé qu’un candidat d’origine maghrébine ou africaine doit faire cinq fois plus d’efforts qu’un autre pour obtenir un poste. Mais la discrimination se poursuit au-delà de l’accès à l’entreprise quand se posent les questions de mobilité interne et de promotion. De façon consciente ou non, les managers ont tendance à faire monter en compétence des « clones », des personnes qui leur ressemblent, et sont issues du même milieu socioprofessionnel. Ces comportements sont dangereux pour l’entreprise car ils tuent à terme toute forme d’innovation. C’est en réunissant des états d’esprit et des profils différents que l’on fait émerger des idées, que l’on stimule la créativité et que l’on gagne de nouvelles parts de marché.
Décideurs. Comment lutter contre la discrimination à l’embauche ?
S. H. Il faut développer des outils de sensibilisation et accompagner les recruteurs au quotidien, d’autant que nombre d’entre eux sont en réalité des opérationnels qui n’ont pas reçu de formation spécifique et laissent une part trop importante à des éléments subjectifs dans leurs appréciations. Il faut aussi sortir du carcan de la culture du diplôme. Nombreux sont les talents qui n’ont pas eu la possibilité d’accéder aux grandes écoles. Les nouveaux outils de recrutement permettent aussi d’ouvrir les champs. Le recrutement prédictif par exemple, qui se concentre avant tout sur les compétences, est une bonne nouvelle pour la diversité. L’accompagnement des candidats eux-mêmes est également indispensable : il faut les aider à dépasser certains freins, à commencer par l’autocensure, et les amener à postuler. Ensuite, au-delà de l’étape de l’embauche, il faut suivre le développement des salariés issus de la diversité au sein des entreprises : leur proposer des formations, mettre en œuvre des modules d’ « empowerment »…
Décideurs. Que pensez-vous des actions du ministère du Travail et de la campagne « Les compétences d’abord »?
S. H. Ce qui est certain, c’est que l’on ne peut pas considérer que la responsabilité de la lutte contre la discrimination est uniquement à la charge des acteurs privés. La discrimination en entreprise trouve son origine dans un système éducatif qui n’arrive pas à faire émerger des jeunes qui ont du potentiel. L’État a une réaction molle et qui manque de vision. Il faut que les acteurs publics mènent de façon plus volontaire une politique d’accès à l’entreprise. C’est le discours que porte et diffuse la fondation Mozaïk auprès des décideurs politiques. Nous pensons qu’il faut en particulier donner au Pôle emploi la possibilité de s’appuyer sur des experts du recrutement qui seront en mesure d’assister les consultants du Pôle dans la conduite du changement.
Décideurs. La France est-elle en retard dans la lutte contre la discrimination en entreprise ?
S. H. Oui, la France est en retard comparé à d’autres pays. Elle a un complexe dans la manière de traiter ses différences et, sur le long terme, c’est dramatique. Cela se traduit en premier lieu par le fait qu’il est difficile de parler de discrimination en France ; le sujet est sensible. La seule question de la mise en place d’unités de mesure reste tabou. Pourtant, c’est un enjeu qui nous concerne tous : il s’agit de la façon dont notre pays intègre sa diversité et en fait une force, et non un problème.
*(Éd. Folio Actuel)
M.-H. B.