« Votre rêve ne doit pas être celui de devenir maître du monde mais plutôt de le servir »
Décideurs. Qu’est-ce qu’une entreprise humaniste??
Jacques Lecomte. C’est la définition de ce que devrait être toute entreprise. Une communauté de femmes et d’hommes agissant ensemble au service du bien commun. Un tel schéma implique des conditions de travail épanouissantes, tant sur le plan matériel que relationnel, et l’engagement de services de qualité pour le client, des relations honnêtes et fiables entretenues avec les fournisseurs et un dirigeant qui affiche une véritable sensibilité sociale et environnementale. La finalité d’une entreprise humaniste n’est pas celle qu’on associe naturellement au projet entrepreneurial. Depuis Friedman, les patrons et les business schools sont biberonnés à l’idée que la raison d’être de l’engagement entrepreneurial est de faire du profit pour les actionnaires. Si le modèle des Trois P – profit, people and planet – qui émerge depuis une dizaine d’années, permet d’élargir cette conception, elle est insuffisante. L’humain et la planète sont toujours exploités pour servir la recherche de profit. Or, l’entreprise devient humaniste lorsque le paradigme est renversé. Le profit y est comme l’air pour l’humain, qui ne vit pas pour respirer mais a besoin d’air pour vivre. L’entreprise humaniste ne vit pas pour le profit mais a besoin du profit pour servir sa mission.
Décideurs. Entre greenwashing et entreprise responsable, comment distinguer??
J.?L. Deux critères majeurs démontrent l’authenticité de la démarche. La durée et la constance des convictions éthiques dans les moments de crise. Prendre un tournant humaniste génère des coûts dont le retour sur investissement n’est ni immédiat, ni automatique. Si les choix responsables sont maintenus dans les périodes difficiles, alors la politique n’est pas seulement qu’un jeu de posture et d’image. Un exemple parlant est celui d’Armor, entreprise de technologies d’impression. Un concurrent avait communiqué sur ses cartouches vertes alors qu’une partie de sa production n’avait rien d’écologique, et qu’il importait des produits contrefaits. Comme ses produits étaient moins chers, il a commencé à récupérer une part du marché d’Armor. Malgré les pertes encourues, Hubert de Boisredon a déclaré que l’entreprise ne céderait pas sur ses principes. « On ne peut pas dire qu’on fait du développement durable et ne pas être conséquent. Si on commence à renier nos valeurs, c’est le début de la mort. » Finalement, le principal client du concurrent, un important distributeur, a eu connaissance des malversations et a rompu le contrat, et Armor a regagné toutes les parts du marché.
Décideurs. Humanisme et rentabilité font donc bon ménage??
J.?L. « On ne fait pas de profit avec les sentiments?», la phrase est usitée mais inexacte. Mon ouvrage est le résultat de plusieurs centaines d’études scientifiques. Énormément d’entreprises allient leadership sur leur marché et vision humaniste. La corrélation est démontrée sur la durée. Lorsqu’une entreprise s’engage dans une démarche RSE, elle supporte des coûts qui impactent son activité à court terme. Le chef d’entreprise à qui seule la rentabilité immédiate importe reviendra vite aux bonnes vieilles méthodes. Celui qui choisira de continuer verra sa position renforcée. La constance de l’action éthique dans le temps renforcera la confiance du marché et des salariés et impactera leur fidélité et leur engagement à l’égard de l’entreprise. Dire «?rendez vos salariés heureux, vous serez plus performants?» est une grande erreur car elle induit que l’entreprise manipule ses salariés. C’est une double méprise, réductionniste à l’égard des salariés, qui ne sont pas dupes, et des dirigeants, qui sont de plus en plus à vouloir donner un véritable impact social et environnemental à leur entreprise.
Propos recueillis par A. C.
http://www.magazine-decideurs.com/dossiers/leadership-l-art-de-gerer-les-paradoxes