En 2017, de nombreux spécialistes du monde politique estimaient que le macronisme ne survivrait pas. Cinq ans plus tard, il se renforce tandis que les partis traditionnels sont en difficulté. La recomposition est partie pour durer.

Emmanuel Macron arrive en tête avec près de 5 points d’avance sur Marine Le Pen. Mieux, les représentants des autres formations politiques appellent presque toutes à voter pour lui. Même Jean-Luc Mélenchon laisse peu d’ambiguïtés en demandant à quatre reprises à ses électeurs que "pas une seule voix n’aille à Marine Le Pen"Marine Le Pen ne pourra s’appuyer que sur Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan. Les réserves de voix sont très minces. La réélection d’Emmanuel Macron semble donc en bonne voie.

Vers la disparition du PS et de LR

Au niveau des deux partis traditionnels, c’est un double séisme. Avec moins de 5%, LR perd définitivement le statut de grand parti. Surtout, les départs de figures influentes qui ont commencé vont se multiplier et le poids de LR à l’Assemblée nationale devrait fondre comme neige au soleil. Le nouveau centre droit, c’est La République en marche. LR sera probablement le lieu d’une guerre interne violente ou feutrée, entre l’aile Ciotti-Wauquiez et l’aile modérée, avec en toile de fond les départs successifs de ses principales figures modérées. Les personnalités du centre droit ou de la droite sont attirées par LREM ou Horizons, le parti d’Édouard Philippe. Les Républicains vont ainsi devenir un parti "droitisant" qui sera alors en concurrence frontale avec Reconquête !, parti qui a enregistré plus de voix que LR à cette présidentielle.

À gauche, le PS est définitivement marginalisé avec un score divisé sous les 1,7%. Ni LR ni le PS ne bénéficieront des remboursements de frais de campagne, induisant une campagne à faible bruit aux législatives. Seule une alliance avec EELV (et le PCF), en position de faiblesse, peut permettre au parti à la rose de garder quelques sièges. De plus, comme LR, le parti est en passe de se vider de ses figures modérées et macron-compatibles, de ses notables qui vont chercher l’investiture et l’absence d’opposition locale. Le chant du cygne…

Quels vainqueurs ? le temps des paradoxes

Premier paradoxe : Marine Le Pen est au deuxième tour, mais n’est pas réellement gagnante. D’abord parce qu’elle a désormais un concurrent mordant, Éric Zemmour avec Reconquête !. De plus, en acceptant les voix de son pire rival pour le second tour, Marine Le Pen a la garantie de redevenir le repoussoir de tout l’échiquier politique républicain, elle qui aspirait à normaliser son parti. Personne ne s’y est trompé, tous les partis ayant appelé à lui faire barrage. Aussi, sa défaite probable va affaiblir son leadership déjà mis en cause. Surtout si elle ne dépasse pas la barre des 40%. L’éternel loser pourra-t-elle garder la confiance de ses troupes ?

Second paradoxe, à l’inverse, Jean-Luc Mélenchon pourrait apparaître comme le grand gagnant à gauche : il atteint un score qu’aurait rêvé d’obtenir le PS en 2002 ou en 2017. Mais il y a deux ombres insoumises au tableau : son manque d’empathie et de diplomatie l’a isolé et il ne se qualifie pas au second tour. Il s’enorgueillit d’avoir construit une force politique qui succède au PS. Toutefois, à 70 ans, Jean Luc Mélenchon ne prévoit pas de se représenter, aussi la force qu’il incarne menacera probablement de se disloquer sans ce ténor et dirigeant dirigiste pour l’incarner et la piloter. Avoir disloqué le PS serait une victoire d’étape à la Pyrrhus, si c’est pour voir ensuite les Insoumis se désagréger.

Troisième paradoxe : EELV perd, mais l’emporte. Yannick Jadot, termine sous la barre des 5% malgré l’urgence climatique et le niveau de médiatisation et de conscience du défi écologique. EELV gagne la bataille des idées, avec un réel verdissement des programmes, à tel point que les électeurs ont préféré le programme complet mais très verdi de Jean Luc Mélenchon ou celui d’Emmanuel Macron. Autre cause de l’échec d’EELV, les divisions internes du parti. Enfin et surtout, le projet de société proposé ne couvrait de façon audible et crédible que les thèmes écologiques et sociaux. EELV est décidément loin de s’approcher des Grünen. Victoire des idées écologiques, défaite dans les urnes.

Les ressorts du succès d’Emmanuel Macron

S’il peut encore trébucher avant le second tour, force est de constater qu’Emmanuel Macron est en position de force pour sa réélection. Il améliore son score de 2017, contrairement à tous ses prédécesseurs (Nicolas Sarkozy, Valéry Giscard d’Estaing…) : ni l’usure du pouvoir, ni la fragmentation de la vie politique, ni les crises (sanitaires, écologiques, militaires…) ne l’ont empêché de rassembler plus largement qu’en 2017. Quels sont les ressorts de son succès ?

Première arme secrète : l’esprit de synthèse

Comme lorsqu’il avait émergé en faisant la synthèse des membres de la commission Attali, Emmanuel Macron est capable de faire la synthèse sur les sujets les plus divers. Son programme vise à créer de la richesse, ce qui prépare son partage. Il vise à travailler plus longtemps pour financer des retraites plus justes et des baisses d’impôts, à combiner les énergies renouvelables, les énergies nucléaires et la sobriété énergétique. Il est le président qui pense aux riches, qui augmente la protection sociale des plus pauvres et qui sert aussi les classes moyennes : bref, il agit pour tous les Français. Sa protection de la souveraineté française s’exprime mieux avec le levier de la souveraineté européenne. Emmanuel Macron n’a pas peur d’une analyse systémique et complexe pour produire des solutions combinées et exprimer clairement. Il dépasse les clivages, un tabou en politique. Enfin, pour reprendre l’expression de Jean-Marc Borello, il a "le courage de la nuance".


Seconde arme secrète : s’entourer des meilleurs et réussir à les faire travailler ensemble

Avant l’élection de 2017, Emmanuel Macron avait rassemblé quelques "Mormons" et surtout les milieux économiques. Après l’élection de 2017, il a réuni des figures de droite (Bruno Le Maire, Édouard Philippe, Gérald Darmanin…), du centre et de la gaucheTout au long de son quinquennat, les arrivées se sont multipliées. Quand une personne devait être écarté, elle l’a été avec l’élégance d’un savant prétexte et sans créer de rancunes tenaces. Jusqu’en 2022, la machine à rassembler a fonctionné à plein régime (Jean-Pierre Raffarin, Éric Woerth, Renaud Muselier, Christian Estrosi, Marisol Touraine, Manuel Valls, Jean-Pierre Chevènement…). Le plus dur est de faire cohabiter harmonieusement et de faire travailler avec efficacité des personnalités habituées à cliver plutôt qu’à s’allier. Pour ce faire, un mot d’ordre simple et pourtant inattendu : la bienveillance. LREM encourage chacun à écouter les idées venues de l’autre bord avec ouverture et tolérance. Nul doute qu’il faille s’initier au "courage de la nuance".

Troisième arme secrète : l’audace et le travail

Quand on écoute ses proches ou ses interlocuteurs, voire ses adversaires, Emmanuel Macron connaît ses dossiers. Il travaille beaucoup, au risque d’apparaître comme le premier de la classe, un peu trop sûr de lui, perçu comme arrogant. Il fait aussi beaucoup travailler ses ministres, ses administrations. C’est un leader exigeant avec lui-même comme avec les autres.  Mais sa maîtrise des enjeux, des chiffres, des équilibres subtils, force le respect de la plupart de ses interlocuteurs. La connaissance lui ouvre aussi la voie de l’audace sur des sujets sensibles.

L’ADN mystérieux du macronisme : Europe, progressisme, pragmatisme, émancipation

Ses adversaires ont essayé de réduire l’agilité d’Emmanuel Macron a une versatilité, une absence de colonne vertébrale. Mais, avec le recul, force est de constater quatre grands axes qui définissent le macronisme. Le premier, c’est le pragmatisme. À la recherche de solutions, il n’hésite pas à dépasser les clivages, à aller dans le très technique, à mobiliser des dispositifs européens ou à mobiliser des budgets importants. Emmanuel Macron aime l’efficacité et le pragmatisme plus que toute idéologie.

L’Europe est le second ingrédient et marqueur. Plus que tout autre, l’Europe a été un fil conducteur très personnel, où le président a été en avance avec ses concitoyens, comme ses homologues européen. Il a fait avancer l’Europe, mais a aussi pioché dans les ressources européennes pour résoudre nombre de problèmes nationaux. Le progressisme est le troisième marqueur qui lui permet de rassembler la gauche ainsi que le centre et une partie de la droite modérée.  Enfin, l’émancipation est la quatrième valeur, ingrédient de sa "synthèse", pierre philosophale appréciée à gauche comme à droite, qui prend aussi le nom d’égalité des chances, de liberté, et qui pose un socle philosophique à son action politique.

L’entrepreneuriat politique : les fondateurs de partis priment sur les héritiers gestionnaires


Quels partis progressent ? Ceux dirigés par leur fondateur, c’est-à-dire Macron, Mélenchon, Zemmour et Marine Le Pen. À noter : si Marine Le Pen est une héritière, elle est aussi une refondatrice ; ainsi, elle n’a pas hésité à commettre un parricide politique pour exister, à renommer son parti et à le repositionner notamment sur l’Europe (adoucissement), les classes populaires (devenues son cœur de cible).

Quels partis régressent ou stagnent ? Ceux hérités (PS, LR, EELV) et confiés à un supposé bon gestionnaire ou bon ambassadeur. La gestion d’un héritage ne fait plus recette. Il faut un candidat qui maîtrise son équipe, qui ait la main sur la doctrine du parti, qui puisse avoir de l’audace plutôt que de recycler des idées qui ont gagné il y a dix ou vingt ans. La victoire en politique requiert la maîtrise d’une guerre de mouvement, pas d’une guerre de position héritée…

En conclusion, le paysage politique va être bouleversé dans les six prochains mois comme jamais, fruit d’une révolution schumpétérienne et darwinienne. Ce n’est pas une page qui se tournera bientôt, si la victoire d’Emmanuel Macron se confirme : c’est un livre qui se clôture et un autre qui commencera. Avec de nouveaux acteurs comme Éric Zemmour, de nouveaux défis, et un échiquier politique totalement recomposé. 

Pierre-Étienne Lorenceau

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