Le bicentenaire de la mort de l’Empereur ne sera pas célébré par l’Union européenne malgré une vraie popularité du personnage dans de nombreux États membres. L’homme au bicorne ne s’inscrirait pas dans le storytelling communautaire.

L’Union européenne ? "La continuité du projet de Napoléon", déclare Boris Johnson à quelques semaines du référendum sur le Brexit en 2016. Selon l’actuel premier ministre britannique, les institutions communautaires et l’action de l’Empereur sont à mettre dans le même sac. Ce n’est pas forcément l’avis de l’UE qui n’a prévu aucune commémoration pour célébrer le bicentenaire de sa mort le 5 mai 2021.

Une icône européenne

Et pourtant, malgré les années de conflits, le Corse le plus célèbre du monde reste globalement apprécié en Europe, notamment pour avoir exporté de la Baltique à l’Adriatique une administration moderne, le Code civil, la philosophie des Lumières et une certaine idée de l’ascension sociale davantage fondée sur le mérite que sur l’héritage (Joachim Murat, fils d’aubergiste est devenu roi de Naples tandis que la dynastie royale suédoise descend de Jean-Baptiste Bernadotte, fils d’un petit avocat désargenté). Dans plusieurs pays membres, le vainqueur d’Austerlitz occupe une place particulière dans l’Histoire nationale. Parmi les plus grands "fans", citons la Pologne qui doit son indépendance au Premier Empire. De nombreux Polonais ont pris part aux campagnes de la Grande Armée à qui l’actuel hymne national rend hommage. Les Italiens ne sont pas en reste et voient les années napoléoniennes sous un jour favorable. En plus de grands travaux de modernisation, elles auraient servi de socle à la future unité nationale. Même dans les pays qui ont le plus souffert durant cette période, Napoléon n’a paradoxalement pas laissé un si mauvais souvenir.

Les années de conflits en Espagne sont considérées comme le début de la période moderne du pays, tandis que Bavarois, Wurtembergeois ou Rhénans ne rechignent pas à célébrer l’Empereur pour "faire la nique" aux Prussiens. Du côté des Balkans, notamment de la Croatie, on garde un bon souvenir de l’époque des Provinces illyriennes qui rime avec émancipation et modernisation. Autrichiens et Hongrois, pourtant vaincus à de multiples reprises, ne voient pas Napoléon comme un ogre, contrairement à certaines idées reçues. Les années napoléoniennes, à l’instar du règne de Charlemagne, pourraient donc potentiellement servir la scénarisation d’une épopée européenne. Mais l’UE ne l’entend pas de cette oreille. Le départ des Britanniques n’y change rien.

Quand l’UE contrôle son histoire

Il est faux de dire que l’UE n’est qu’un espace économique. Elle s’attache à se mettre en scène auprès des citoyens des États membres grâce à des commémorations telles que le Jour de l’Europe qui a lieu chaque 9 mai. Sa conception de l’Histoire est particulière : ruiné par des guerres et des conflits incessants, le Vieux Continent ne doit sa paix et sa prospérité qu’à l’action désintéressée des fondateurs de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. En somme, l’union de l’Europe c’est la paix. Oui à Jean Monnet et Robert Schuman, non à Napoléon. Il est donc logique que les billets en euros ou les institutions européennes ne mettent jamais en avant des monarques des siècles passés. Malgré tout, de nombreuses associations transnationales sont bien décidées à célébrer comme il se doit le bicentenaire. C’est notamment le cas de l’association Triangle de Weimar qui lance un concours d’essais et de mémoires sur l’impact de Napoléon dans l’Europe d’aujourd’hui. Ouvert aux étudiants français, allemands et polonais, il entend « connaître la vision de la nouvelle génération de citoyens européens sur le continent et ses évolutions actuelles ». De même en mai 2021, la Fédération européenne des cités napoléoniennes (FECN) qui compte 60 villes réparties dans 13 pays « mettra en avant l’héritage de Napoléon et de son temps dans l’Europe d’aujourd’hui  ». Sous le patronage du Conseil de l’Europe qui n’a aucun lien avec les institutions communautaires

Le pays le plus bonapartiste ? La France

Même si l’UE acceptait de promouvoir Napoléon, il faudrait l’accord des principaux concernés, les Français. Et, dans l’Hexagone, le natif d’Ajaccio ne fait pas l’unanimité, loin de là. Une partie de la gauche, dont le député LFI Alexis Corbière, l’accuse d’avoir "mis fin à la première expérience républicaine de l’Histoire". L’aspect "machiste" du Code civil ou le rétablissement de l’esclavage ne plaident pas en faveur d’une commémoration dans un quinquennat où l’égalité hommes-femmes est déclarée grande cause nationale et où les enjeux mémoriels sont explosifs. Même au sein de la majorité, certaines voix comme celle d’Élisabeth Moreno, secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, se montrent très réservées. Emmanuel Macron devrait donc se contenter du minimum syndical pour éviter les polémiques. Pas de quoi inciter nos voisins à crier "Vive l’Empereur !"

Lucas Jakubowicz

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