Femmes politiques au pouvoir : l’exception scandinave et balte
Sur les huit pays Baltes et scandinaves, six ont désormais une femme à leur tête, soit une proportion de 75%. Et aucun bord politique ne manque à l’appel. À gauche, les écologistes menés par Katrin Jakobsdottir sont aux commandes de l’Islande depuis novembre 2019. Les sociaux-démocrates ne sont pas en reste avec Sanna Marin et Mette Frederiksen qui ont pris la tête de la Finlande et du Danemark quelques mois plus tôt. À droite, la conservatrice Erna Solberg dirige la Norvège d’une main de fer depuis huit ans, Ingrida Šimonytė la Lituanie depuis novembre 2019. Dernier pays en date à rejoindre le club, l’Estonie avec la libérale Kaja Kallas. Lors des sommets régionaux, le Suédois Stefan Löfven et le Letton Arturs Karins constituent désormais une minorité. Si la présence aussi massive de femmes à la tête de ces États du nord du Vieux Continent est relativement récente, elle est le fruit d’une politique de long terme.
Scandinavie : un terreau favorable
La clé est sûrement d’intégrer pleinement les femmes à la vie civique. C’est le cas de la Scandinavie, pionnière en matière du vote des femmes qui peuvent se rendre aux urnes depuis 1906 en Finlande, 1913 en Norvège, 1915 au Danemark et en Islande ou 1921 en Suède. Les descendants des Vikings se sont également distingués dès le XIXe siècle par leur grand nombre d’associations féminines étroitement associées à la conduite des affaires publiques.
Droit de vote et moyens de pression sur le législateur ont logiquement permis la mise en place d’un environnement propice à l’émancipation. La Suède peut ainsi se vanter de mener des politiques en faveur de la parité depuis le milieu du XIXe siècle, époque à laquelle Napoléon III proclamait le Second Empire dans l’Hexagone… En matière de congé parental, les Suédois disposent d’un total de 480 jours par enfant à se répartir entre le père et la mère sous réserve de 90 jours qui ne sont pas transférables. Loin, très loin des quatre mois garantis par l’Union européenne. De même, le congé paternité s’élève à neuf semaines en Finlande contre cinq jours en Italie et deux jours seulement en Grèce. Cela permet aux mères de continuer leur carrière de la même manière que leur conjoint. Idéal pour limiter le plafond de verre, tout en maintenant une natalité plus élevée que dans les pays du sud de l’Europe.
En Scandinavie plus qu’ailleurs, les femmes sont donc traditionnellement engagées dans la vie active. Ainsi, 81% des Suédoises mènent une activité professionnelle contre 64% des Françaises. C’est sans surprise qu’aux pays des aurores boréales, les femmes sont traditionnellement plus engagées en politique. Vigdis Finnbogadottir a ainsi présidé l’Islande de 1980 et 1996 tandis que dans les années 1980 le parti centriste suédois était dirigé par Karin Söder qui n’a jamais pu exercer le pouvoir à cause d’une social-démocratie alors à son zénith.
Accès à l'université, droit de vote, congé parental : ces pays sont précurseurs
Le communisme a eu du bon
Du côté des États Baltes, la situation est différente puisque ces pays ont longtemps fait partie intégrante de l’URSS. Si l’ancienne superpuissance et les Républiques socialistes placées sous son contrôle n’ont jamais brillé par leur vitalité démocratique, reconnaissons leur un mérite : inciter tout le monde à faire des études sans distinction de sexe. Par rapport à certaines régions du globe, le vivier de femmes en capacité d’accéder aux responsabilités est donc plus haut qu’ailleurs. Du reste, nombre d'anciens pays placés à l’est du rideau de fer ont eu, ou ont toujours, une femme à leur tête : Ukraine, Moldavie, Géorgie ou encore Slovaquie. Mentionnons également la biélorusse Svetlana Tikhanovskaia, figure principale de l’opposition à l’inamovible président Loukachenko.
Peu de machisme
La présence de femmes aux postes de direction est donc ancienne dans ces contrées. Et lorsque des propos machistes ou sexistes éclatent, toute la population fait corps pour leur faire barrage. Sanna Marin peut en témoigner. En octobre 2020, le magazine Trendi s’en prend à sa gestion de la pandémine de Covid-19, ce qui, en démocratie est tout à fait concevable. Ce qui l’est moins, en revanche, c’est de s’attaquer à son décolleté et d’insinuer que la dirigeante préfère jouer les mannequins que combattre la crise sanitaire. Le tollé suscité par l’article et le soutien apporté à la dirigeante (tous bords politiques confondus) montrent que, si les préjugés demeurent, ils sont résiduels et quasi unanimement rejetés.
75% des gouvernements scandinaves et baltes sont dirigés par des femmes contre 11% à l'échelle mondiale
Du côté des pays Baltes, nous en sommes réduits à la spéculation. En avril 2019, la présidente Kersti Kaljulaid (oui en Estonie, la présidence est aussi occupée par une femme) charge Kaja Kallas de former un gouvernement. Contre toute attente, elle échoue, la faute, selon elle à "un ego masculin des dirigeants centristes et conservateurs" qui "s’accrochent à leurs postes, plutôt que de respecter leur promesse de ne jamais s’allier avec l’extrême droite". Le facteur "genre" est peut-être à prendre en compte, mais il n’explique pas pourquoi certaines députées n’ont pas voulu de son alliance.
Et ailleurs ?
Toutefois, la montée en puissance des femmes politiques dans ces contrées septentrionales se poursuit et contraste avec le reste du monde. Le dernier rapport Gender Gap du World Economic Forum est sans appel. Seuls 22 pays sur 193 ont une femme à la tête de leur exécutif soit 11%. Petite lueur d’espoir, elles sont 21% à occuper un poste de ministre. C’est statistique, les ministres d’aujourd’hui sont souvent à la tête des gouvernements de demain. Mais la route est longue puisque, selon les projections du World Economic Forum, il faudrait attendre encore deux siècles pour obtenir une parité parfaite parmi les leaders politiques. D’une certaine manière, Scandinaves et Baltes ont donc plusieurs siècles d’avance. De quoi flatter l’orgueil de peuples réputés sobres et peu sujets à la vantardise.
Lucas Jakubowicz