Les cortèges de ce début d’année 2021 auraient pu ébranler le régime russe. Il n’en a rien été. Le pouvoir a noyé dans l’œuf la contestation en maniant carotte et bâton. Le message envoyé au peuple est limpide : circulez, il n’y a rien à voir.

C’est ce que l’on appelle faire preuve de rapidité. Le 17 janvier, à l’aéroport moscovite de Cheremetievo, Alexeï Navalny est arrêté par les forces de l’ordre dès sa descente d’avion. L’opposant rentrait de Berlin après une longue hospitalisation et convalescence à la suite à d’un empoisonnement, très probablement ordonné par le Kremlin. Durant les trois semaines suivantes, des milliers de Russes sont descendus dans les rues de nombreuses villes du pays. Parmi eux, des jeunes mais aussi des plus âgés. Le sort de l’opposant a servi de catalyseur à une colère plus large mêlant lassitude de la jeunesse, dépit face à la corruption et volonté de pluralité politique. Inacceptable pour le gouvernement qui, par principe, refuse de discuter avec les citoyens qui ne passent pas par les canaux traditionnels. La riposte des autorités pour réduire l’opposition au silence n’a pas tardé et semble faire la preuve de son efficacité.

Dissuader l’opposition

Premier pilier de la stratégie : châtier le chef de l’opposition. Le 2 février, Alexeï Navalny a été condamné à trois ans et demi de prison pour avoir violé un contrôle judiciaire alors qu’il était sous le coup d’une peine de sursis. Le médiatique quadragénaire n’en a pas fini avec la justice puisqu’il est aussi accusé d’escroquerie à grande échelle pour avoir détourné à des fins personnelles les dons versés à sa fondation de lutte contre la corruption. Il est également poursuivi pour diffamation. Son tort ? Avoir qualifié de "traître à la Nation" un vétéran de la Seconde Guerre mondiale, fervent soutien de Vladimir Poutine.

En embastillant et en s’acharnant judiciairement sur le chef de file des contestataires, les autorités envoient un signal fort : si vous contestez trop ouvertement le régime, voilà ce qui vous attend. De quoi, sur le papier, calmer ceux qui veulent prendre la suite d’Alexeï Navalny qui a parfaitement résumé la situation : "Le plus important est d’effrayer des millions de gens. On en emprisonne un pour faire peur à tous."

Contrôler la foule

Les autorités ont également mis en place une procédure plutôt subtile pour empêcher les manifestations de s’étendre. Dans le pays des tsars, les coups de matraques et les bastonnades ne sont pas à la mode. Certes, environ 11 000 manifestants ont été arrêtés, et certains ont reçu une amende (plus élevée pour les meneurs). Mais la police n’a pas frappé trop fort, au sens propre comme au sens figuré. Objectif : montrer aux manifestants qu’elle est du côté d’un peuple aveuglé par des meneurs à la solde de l’étranger. En somme, le langage tenu aux manifestants est le suivant : "On vous trompe, vous n’en êtes pas conscients, nous vous avons ouvert les yeux avec une relative gentillesse. La preuve, le policier qui a blessé une manifestante est allé s’excuser à l’hôpital et a offert des fleurs. Mais ne recommencez pas ou nous frapperons plus fort." Message reçu 5 sur 5 puisque les contestations ont cessé. Du moins dans les rues…

Le message envoyé par le Kremlin est le suivant : ne recommencez pas à manifester

Mettre au pas les réseaux sociaux

Car sur les réseaux sociaux, la colère gronde toujours et le public est au rendez-vous depuis le début de l’année. Le 19 janvier, peu après son arrivée en Russie, Alexeï Navalny poste sur YouTube le documentaire Le Palais de Poutine, histoire du plus gros pot de vin du monde. Si l’entourage du président fait l’objet de plusieurs enquêtes sur sa corruption, pour la première fois, le maître du pays lui-même est visé. L’audience est phénoménale : 60 millions de vues en cinq jours. Et la foule criera "Poutine voleur" dans plusieurs cortèges. Une grande première pour le chef d’État que Navalny qualifie de "petit être dans son bunker".

Les comptes Tiktok, réseau social plébiscité par les moins de 20 ans, relaient également la colère d’une partie des millennials. Certaines vidéos telles que celle de l’influenceuse Neurolera qui explique comment ne pas se faire arrêter dans les manifestations sont visionnées des millions de fois.

Cette contestation de la jeunesse est préoccupante pour les dirigeants. Après tout, le printemps arabe n’est-il pas né en partie en ligne ? Si la presse, la radio et la télévision sont étroitement contrôlés, les réseaux sociaux constituent un véritable trou dans la raquette. Mais une fois encore, le gouvernement est à la manœuvre.

Depuis 2019, la Russie cherche à bâtir un internet souverain et à contrôler davantage ce qui se dit en ligne. Roskomnadzor, gendarme russe des communications peut, sur le papier punir les plateformes ou les internautes accusés de répandre de fausses nouvelles. Les autorités cherchent également à "réguler" TikTok, ce qui est en théorie possible puisque le réseau chinois est réputé "docile" aux injonctions politiques. Est également à l’étude la naissance d’une version russe de TikTok. C’est la branche média du géant énergétique Gazprom qui est chargé de la conception. Un mastodonte étroitement contrôlé par le Kremlin, cela va de soi.

Lucas Jakubowicz

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