La transmission de l’immobilier de rapport
Le financement des frais et droits susceptibles d’être dus à raison d’une donation de biens immobiliers peut présenter des difficultés. Dans ce contexte, le niveau très faible des taux d’intérêt peut constituer une opportunité pour organiser la transmission d’un patrimoine immobilier de rapport.
Choisir entre la nue-propriété ou la vente de son bien à une société civile
Prenons l’exemple d’un père propriétaire d’un patrimoine immobilier loué à usage d’habitation d’une valeur de 4 000 000 d’euros. Ce patrimoine génère des loyers nets de charges de 100 000 euros par an (hypothèse d’un rendement annuel de 2,5 %). Compte tenu de ses autres revenus, le père est imposé sur ses revenus immobiliers dans la tranche marginale de l’impôt sur le revenu (45 %). En tenant compte des prélèvements sociaux (17,2 %) et de la quote-part de CSG déductible de l’impôt sur le revenu (6,8 points), l’imposition effective de ses revenus immobiliers ressort à 59,14 %. Son revenu immobilier net après impôts est donc de 40 860 euros. Si le père décide de donner la nue-propriété de ce patrimoine immobilier à ses deux enfants, il devra acquitter un montant de droits de donation de 585 356 euros (hypothèse d’un donateur ayant entre 61 ans et 71 ans et sous réserve qu’aucune donation n’ait été consentie aux enfants au cours des quinze années précédentes). Plutôt que de choisir cette solution, le père peut, alternativement, vendre son immobilier de rapport à une société civile constituée entre ses deux enfants. La société civile contractera un emprunt in fine pour acquérir l’immobilier de rapport. Le montant de l’emprunt sera de 4 300 000 euros correspondant au prix de vente et aux frais de notaires estimés à 7,5 %. Ainsi, il n’est pas nécessaire que les enfants disposent d’un capital pour créer la société civile.
"Pour que l’opération de transmission aux enfants soit effective, il convient de leur donner dès à présent le contrat de capitalisation"
Nous prenons l’hypothèse que le taux du crédit in fine, d’une durée de quinze ans, est de 2 %. La société civile devra donc acquitter chaque année des intérêts d’emprunt de 86 000 euros (2 % x4 300 000 €) qui seront couverts en totalité par les loyers nets de charges (100 000 euros). Le père, puisqu’il a vendu son immobilier à la société civile, encaisse le produit de la vente, soit 4 000 000 d’euros. Il n’a pas de plus-value immobilière à acquitter s’il détient son immobilier depuis plus de trente ans. Sur le produit de la vente, il prélève 2 650 000 euros pour souscrire un contrat de capitalisation. Ce contrat permettra de rembourser le principal de l’emprunt in fine dans quinze ans. En effet, compte tenu d’une hypothèse de rentabilité annuelle de 4,5 %, il faut investir aujourd’hui 2 650 000 euros pour disposer, dans quinze ans, d’un capital de 4 300 000 euros net de la fiscalité applicable à raison d’un rachat sur un contrat de capitalisation (30 % incluant les prélèvements sociaux, auxquels il convient d’ajouter la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus). Dans quinze ans, le produit du rachat du contrat de capitalisation devra être apporté à la société civile pour lui permettre de rembourser l’emprunt in fine. Aussi, pour que l’opération de transmission aux enfants soit effective, il convient de leur donner dès à présent le contrat de capitalisation afin qu’ils puissent, dans quinze ans, apporter à la société les sommes nécessaires au remboursement de l’emprunt.
La donation avec réserve d’usufruit
La donation du contrat de capitalisation aux deux enfants peut être faite en pleine propriété ou avec réserve d’usufruit. Si elle est faite avec réserve d’usufruit, elle générera des droits de 302 924 euros. Après souscription du contrat de capitalisation pour 2 650 000 euros et paiement des droits de donation de 302 924 euros, le père conserve sur le produit de la vente de son immobilier (1 047 076 euros. Il utilise cette somme pour souscrire un contrat d’assurance-vie sur lequel il effectuera des retraits destinés à lui permettre de compenser sa perte de revenus immobiliers. En effet, rappelons qu’avant l’opération le père encaissait les loyers et disposait d’un revenu après impôts de 40 860 euros. C’est donc ce montant net de fiscalité qui sera racheté annuellement et pendant quinze ans sur le contrat d’assurance-vie. Sur la base d’une hypothèse de rendement annuel du contrat d’assurance-vie de 3 %, il restera après quinze ans sur le contrat d’assurance-vie une somme de 824 270 euros compte tenu des retraits de 40 860 euros nets qui auront été opérés annuellement.
"Les capitaux issus du rachat du contrat de capitalisation appartiendront donc au père en usufruit et à ses deux enfants en nue-propriété"
Dans quinze ans, le contrat de capitalisation sera racheté pour procéder au remboursement de l’emprunt in fine. Nous avons supposé que le père ne donnait que la nue-propriété du contrat de capitalisation à ses enfants. Les capitaux issus du rachat du contrat de capitalisation appartiendront donc au père en usufruit et à ses deux enfants en nue-propriété. Ils apporteront les capitaux issus du rachat du contrat de capitalisation dans ces proportions à la société civile de sorte qu’ils recevront en contrepartie des parts dont le père sera usufruitier et dont ses deux enfants seront nus propriétaires. Le père, en qualité d’usufruitier des parts de la société civile, récupérera alors l’essentiel des revenus immobiliers et pourra cesser d’effectuer des rachats sur son contrat d’assurance-vie.
"Le père n’aura plus à déclarer l’immeuble pendant quinze ans puisqu’il n’en sera plus propriétaire"
Au total, le schéma aura donc permis d’autofinancer la transmission de l’immeuble et d’accroître le patrimoine familial puisque 824 270 euros seront conservés sur le contrat d’assurance-vie au terme des quinze ans alors qu’une donation avec réserve d’usufruit "classique" de l’immeuble aurait généré des droits de 585 356 euros. En ce qui concerne l’impôt sur la fortune immobilière, le père n’aura plus à déclarer l’immeuble pendant quinze ans puisqu’il n’en sera plus propriétaire. Les enfants, tous les deux majeurs, devront de leur côté déclarer les parts de la société civile. Pour la valorisation de celles-ci, l’emprunt in fine devra être amorti sur sa durée de manière linéaire soit dans notre exemple à hauteur de un quinzième chaque année. Néanmoins, l’assiette IFI des enfants sera plus faible que l’assiette qui aurait été celle de leur père si la solution d’une donation en nue-propriété classique avait été retenue. Le schéma permet donc également de réaliser une économie d’IFI au niveau familial.
Stéphane Jacquin, responsable de l’ingénierie patrimoniale chez Lazard Frères Gestion