Y. Galet (G Consult Finances) : “L'objectif principal est la protection de la famille génération après génération"
Décideurs. Vous êtes, chez G Consult Finances, habitué à réfléchir sur l’évolution du métier de CGP, quelle est votre analyse sur le positionnement du family officer du XXIe siècle ?
Yann Galet. Depuis plus de vingt ans, je conseille des familles. Dans le domaine de la gestion de patrimoine et plus largement dans la gestion des affaires d'entreprises. Comme beaucoup de mes confrères, j’ai longtemps œuvré seul. J'étais l’homme-orchestre patrimonial des familles qui m’accordait leur confiance. Mais je n'avais qu'un seul cerveau. Certes, j'avais l'exhaustivité de la relation et c'est très facile d'être d'accord avec soi-même.
"Il n’est plus possible et pensable d’exercer l’activité de gestionnaire de patrimoine comme elle était pratiquée dans les années 1990"
Il m’est apparu évident que cette organisation n'était pas viable sur le long terme et que ce modèle devait évoluer. Le XXIe siècle est marqué par des phases de rupture significatives. Il n’est plus possible et pensable d’exercer l’activité de gestionnaire de patrimoine comme elle était pratiquée dans les années 1990. En outre, la rétribution du CGP par honoraires offre de la transparence pour les familles mais elle ne suffit pas à couvrir les frais de fonctionnement d’un cabinet. Il faut souligner que le family office d’aujourd’hui ne repose plus sur l’expertise d'un seul homme, mais sur une multiplicité de compétences au sein d'une même structure coordonnant un réseau d’expertises plurielles.
Qu'entendez-vous par le concept de cerveau collectif ?
Le family officer doit partager l'ensemble de ses connaissances avec les membres de son cabinet. C'est précisément à cet instant que cela devient un défi humain et technologique. Tant pour les personnes au service des familles au sein du cabinet que pour les familles qui souhaitent retrouver et transmettre leurs « mémoires ». C'est-à-dire les échanges avec le cabinet, les projets pensés et réalisés années après années. Nous devons conserver cette fonction de mémorisation sur tous les sujets qui ont jalonné la relation d’une famille avec son conseil. Ceux qui sont allés au bout comme ceux qui ont été avortés. Cela donne beaucoup plus de sens au mot « patrimoine ». C'est-à-dire sémantiquement, ce que l'on reçoit du père. Ce que l'on reçoit de la famille, ce n’est pas simplement un chèque suite à une succession mais des histoires de famille, des héritages transmis de génération en génération. Parler de patrimoine ne se réduit pas à énumérer des actifs. Au contraire, c'est l'aboutissement de projets, d’envies concrétisés ou non.
Dans un tel contexte, si le conseiller en gestion de patrimoine vient à s’en aller, c'est toute l'histoire des familles qui s'évapore en fumée. Après 30 ou 40 ans de relations de confiance, c'est un désastre. Il ne fera pas la différence et sera vu comme un expert parmi d’autres. Alors que, à l'instar d'un médecin de famille, il a été le généraliste et le garant des stratégies qui ont permis à une famille d'atteindre ses objectifs. Le family officer doit transmettre toutes ces mémoires. À partir de ce moment, le métier prend tout son sens. Grâce à la mise en place de la data visualisation, nous fonctionnons comme un seul homme. C'est ce que j'appelle le cerveau collectif.
Quels sont les défis technologiques et humains à surmonter pour les cabinets de family office ?
Tout doit être sécurisé et crypté dans le cerveau collectif. Autrefois, ce métier trouvait sa source dans des relations humaines basées sur la confiance. C’est toujours le cas évidemment, mais cela doit évoluer. Si le family officer détient l'ensemble des informations maintenues à jour dans la data visualisation, il devient incontournable. L’accès à l’information, aux savoirs et à la connaissance est un enjeu patrimonial.
Des processus métier ont été élaborés en interne pour que chacun puisse travailler la matière. Nous sommes doublement certifiés Afnor/ISO sur le sujet. Le temps où le conseiller faisait tout et tout seul est révolu. Les sujets de conformités impliquent un back-office de plus en plus développé au sein d'un cabinet. Grâce à une équipe pluridisciplinaire et à notre logiciel nous redonnons du temps aux familles que nous conseillons pour nous adapter à ce qu'elles sont réellement.
Enfin, les outils digitaux nous permettent de baisser considérablement notre prix de revient. Ainsi, nous pouvons répondre à des familles qui nous sollicitent à la tête d’un patrimoine compris entre 2 et 20 millions d'euros. Ces familles n’ont pas toujours conscience qu’elles peuvent recourir à un cabinet de family office aux multiples services. Elles pensent que c’est encore le pré-carré des grandes fortunes. Le family officer devient donc moins onéreux et plus accessible.
Comment conciliez-vous la préservation des mémoires avec la data visualisation ?
Auparavant, seul le patriarche d’une famille avait une connaissance fine de son patrimoine et de son élaboration. De son côté, le conseil n’avait pas la possibilité de transmettre l'ensemble de ses connaissances à un confrère quand il partait en retraite ou décédait. Le family officer, interlocuteur privilégié, travaille le plus souvent sur trois générations, avec des stratégies communes et des stratégies personnalisées en fonction des étapes de vie.
Chez G Consult Finances, des protocoles ont été mis en place pour conserver et sécuriser les mémoires des familles. Nos comptes rendus sont consignés grâce à la data visualisation. Cette technologie permet de projeter comme dans un film les dates clés de la vie civile et les projets patrimoniaux. Ces mémoires ont énormément de valeur. On valorise aujourd'hui une société sur la base de ce qu'elle détient comme données. Par exemple, Google est hautement valorisée parce qu'elle possède une immense data. En outre, nous gardons la maîtrise de l'ensemble des mémoires d’une famille. Il n'y a pas que les actifs à regarder, il y a aussi les intentions. L’objectif principal est la protection de la famille génération après génération.
Pour simplifier, au XXe siècle, les dossiers s'amoncelaient sur un bureau. Aujourd’hui notre outil nous permet de rationaliser ces informations d'une manière intelligente et digitale. La data visualisation, ce ne sont pas que des tableaux empilés les uns en dessous des autres. Au contraire, nous faisons exprimer la data sur des graphiques dynamiques et des organigrammes intelligents. Les familles appréhendent en une seule page l'ensemble des informations. Ce sont des schémas qui permettent d'accéder à l’information idoine en un minimum de temps.
"Le conseil reste le travail d'un humain mais les feuilles de route doivent se faire de manière totalement digitalisée"
La donnée (ou data) pure serait incomplète sans l’apport du family officer qui reste un homme clé dans l’organisation patrimoniale. Il va se servir de ce logiciel pour affiner sa stratégie et prodiguer un conseil personnalisé et adapté. C’est lui, en dernier lieu, qui va donner une stratégie pertinente et assurer sa faisabilité dans le monde réel. Le conseil reste le travail d'un humain mais les feuilles de route doivent se faire de manière totalement digitalisée. Le family officer “augmenté” est désormais une réalité au XXIe siècle.
Propos recueillis par Bertrand Dubourg