O. Guillerot (Aguttes): "Le grand avantage du street art, c’est que l’on peut rencontrer les artistes"
Décideurs. Avec des techniques, des formats et des supports très variés, le street art brille par son coté hétéroclite. Comment le définir ?
Ophélie Guillerot. Le street art est un mouvement contemporain qui a démarré dans la rue, aux États-Unis, avant de se développer mondialement. À l’origine, il s’agit d’un art de rue qui, pour se monétiser, a changé de supports avec le temps pour devenir monnayable. L’essence même de ce courant est de jouer sur les matériaux et les supports. Le marché du street art a véritablement pris son essor dans les années 2000, grâce à de nouvelles galeries spécialisées, à des foires internationales et aux maisons de ventes.
Au-delà des grands noms – Banksy, Kaws, Obey, Invader –, quels artistes ont la cote sur le marché de l’art ?
Le marché est très international. Il y a bien sûr beaucoup d’artistes américains mais aussi des européens parmi lesquels les Français figurent en bonne place. Au sein des grands noms déjà bien établis et au-delà des Banksy ou Obey, on peut citer le Français JR qui procède à partir de photos dont il fait des collages et qui s’est fait connaître du grand public avec son film documentaire Women are heroes ; mais aussi le Portugais Vhils qui travaille en profondeur dans les murs au marteau-piqueur pour jouer sur les volumes et créer une sorte de bas-relief urbain inversé, en creux. La cote de ces deux artistes a bien évolué ces dernières années.
"La vente de Girl with balloon de Banksy a entraîné un questionnement sur la trop forte monétisation du street art"
Comment expliquer la valorisation d’une œuvre ?
La méthode de valorisation se fonde sur le marché secondaire, c’est-à-dire la cote d’un artiste sur le marché des enchères. Par ailleurs, d’autres critères comme les dimensions ou le support d’une œuvre entrent en ligne de compte dans son évaluation. Sa date et sa place dans la production de l’auteur jouent également : s’il s’agit d’une œuvre de jeunesse ou d’une création plus récente vraiment représentative du travail de l’artiste, l’évaluation ne sera pas la même. Par exemple, nous vendons régulièrement des œuvres de JonOne et les prix fluctuent selon qu’il s’agit d’une pièce récente – qui vaut entre 30 000 et 40 000 euros environ – ou de pièces de jeunesse, réalisées entre 1989 et 1991 dans un atelier de l’Hôpital éphémère alors qu’il venait d’arriver en France. Enfin, le thème est central. Pour les œuvres figuratives, présentant un message, plus leur portée est universelle, plus elles ont de chance de plaire au plus grand nombre et donc de multiplier les enchérisseurs potentiels.
N’y a-t-il pas un paradoxe à collectionner un art conçu pour être exposé aux yeux de tous et dans un lieu précis ?
Les artistes ont besoin de vivre de leur art. Or, il est assez compliqué de vendre le mur d’une ville ! Le recours à des supports plus traditionnels s’impose donc. Si certains artistes utilisent la toile, d’autres s’emparent de supports bien plus étonnants, comme des quilles de bowling, une ancienne boîte aux lettres ou des matériaux de récupération issus de la rue. Les prix du marché peuvent paraître en décalage avec l’essence même du mouvement du street art, art qui appartient à tous et qui n’a pas vocation à être vendu. La vente de Girl with balloon de Banksy en 2018 pour 1,2 million d’euros avait choqué et entraîné tout un questionnement sur une supposée trop forte monétisation du street art. Finalement, le marché s’est adapté.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui voudrait se lancer dans une collection ?
La chance du street art, c’est d’être un mouvement on ne peut plus contemporain et pour lequel la plupart des artistes sont vivants. Mon premier conseil consiste donc à essayer de rencontrer l’artiste ou de passer par l’intermédiaire de galeries qui participent pleinement à la promotion de cet art, tout comme les ventes aux enchères spécialisées. Le principe fondamental demeure celui de se faire plaisir, de suivre son goût et ses coups de cœur pour ne pas se lasser de l’œuvre. Enfin, il faut veiller aux conditions de conservation de l’objet. Pour cela, le vendeur sera de bon conseil.
Propos recueillis par Sybille Vié