« Nous allons continuer notre action et intensifier notre effort de façon linéaire »
Entretien avec Éric Walter, secrétaire général de l’Hadopi
Décideurs. Après avoir tout entendu sur l’Autorité, comment se porte aujourd’hui l’Hadopi ?
Éric Walter. Très bien. Nous considérons que l’Hadopi est aujourd’hui arrivée à maturité. L’Autorité fonctionne dans des conditions budgétaires volontairement restreintes avec la mise en place, dès 2012, d’une politique interne de rigueur budgétaire sans précédent. Grâce à ces économies, nous continuons à mener à bien notre mission. L’équipe compte aujourd’hui une soixantaine d’agents, dont la moyenne d’âge se situe entre 30 et 35 ans. Cela donne à l’institution la proximité nécessaire à la bonne réalisation de sa mission sur Internet.
Décideurs. Au mois d’octobre, 138 000 emails ont été adressés (+ 165 % par rapport au mois précédent) : l’Hadopi passe-t-elle, après trois ans d’existence, à la vitesse supérieure ?
É. W. Non, ce n'est pas une accélération. C’est d’avantage l’acquisition d’une certaine maturité à la suite d’une période logique de réglages. Quand je parle de notre histoire, je prends souvent l’exemple de l’achat d’un ordinateur: il faut attendre la livraison, l’installer, mettre à jour les logiciels, etc. Aujourd’hui tout est branché, à jour et fonctionne parfaitement bien. Beaucoup de gens oublient que notre institution est effectivement sortie de terre au cours des deux premiers trimestres 2010 alors qu’il apparaît normal, au vu de la tâche qui nous a été confiée, de prendre le temps nécessaire pour mettre en marche la machine. Plus largement, on observe aisément dans l’action publique un délai de deux, trois années, voire plus, entre la décision du législateur et l’application à proprement parler d’une réforme. L’Hadopi ne fait pas exception à la règle.
Décideurs. Que pensez-vous du rapport de Jacques Bille, qui rappelle qu’en 2011, la France a dépensé vingt-six millions d’euros d’argent public pour lutter contre le téléchargement quand les acteurs privés ont, eux, dépensé trente-quatre millions ?
É. W. Il faut remettre les chiffres dans leur contexte. Tout d’abord sur les vingt-six millions d’euros alloués en 2011, quatorze l’étaient au titre de l’opération nationale de la « carte musique ». Et ils n’ont pas été dépensés. On n’est donc déjà plus dans le même ordre de grandeur évoqué par le rapport. Si aujourd’hui on ne prenait que les coûts français, on évoquerait un montant inférieur d’environ 70 % aux vingt-six millions annoncés. Ce rapport est toutefois nécessaire car c’est le premier document qui étudie la question, mais il doit être pris en compte dans sa globalité, pour en extraire des tendances, au lieu de décortiquer certains chiffres de façon isolée.
Décideurs. Comme Autorité, avez-vous noté une évolution des initiatives privées ?
É. W. C’est difficile à dire. Nous n’avons pas constaté de forte évolution des comportements en trois ans. C’est une tendance assez linéaire.
Décideurs. Dans ce même rapport, on note également une baisse de 17 % de la fréquentation des sites peer to peer, est-ce le résultat d’une stratégie ?
É. W. Pas vraiment, dans la mesure où nous n’avons pas une « stratégie » propre mais sommes chargés d’une « mission » qui concerne l’ensemble des problématiques liées au téléchargement.
Une forte baisse de la fréquentation des sites peer to peer a effectivement accompagné le lancement de l’Hadopi au cours de ses deux premières années. Aujourd’hui, on note une stabilisation de cette tendance à un niveau de fréquentation relativement bas.
Décideurs. Ce chiffre vous convient-il ou allez-vous intensifier les efforts sur ce front ?
É. W. Nous avons trois missions, que nous avons lancées successivement. Le grand chantier de la protection, l’encouragement de l’offre légale et enfin l’observation. Ces trois fronts sont désormais opérationnels et matures. Nous allons donc continuer notre action et intensifier notre effort de façon linéaire.
Décideurs. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre projet de rémunération proportionnelle du partage (RPP) ?
É. W. Tout d’abord, nous ne défendons pas et ne voulons pas imposer un seul et même modèle. Nous explorons simplement une solution qui nous semble juste vis-à-vis des créateurs de contenus. Il peut y en avoir d’autres. Nous insistons bien sur le fait que ce n’est pas une action de lobbying. Nous avons observé différents types de comportements chez les internautes, notamment dans leur accès aux contenus numériques culturels. Le caractère gratuit de ces accès est quasi totalement répandu sur la toile, et peu de contreparties sont reversées aux créateurs, auteurs et titulaires de droit. Ces faits nous amènent à penser qu’un système de rémunération compensatoire doit exister, car il y a réellement transfert de valeur au moment du partage d’un fichier musical ou d’une œuvre cinématographique. Il nous semble donc logique que la plate-forme sur laquelle ces échanges sont effectués, et qui a besoin de ces échanges pour exister, rémunère en aval les artistes. Nous conceptualisons actuellement un système complexe et non intrusif qui permettra de visualiser ces flux d’échanges. Ce projet, qui nécessite de réaliser un modèle mathématique complexe pour fonctionner, sera d’ailleurs mené de pair avec l’institut public Inria.
Décideurs. Où en êtes-vous dans l’approche du secteur du jeu vidéo ? Ce secteur a-t-il une chance d’être un jour soumis à la riposte graduée ?
É. W. Une fois de plus, il faut décorréler la mission de protection des droits des deux autres missions de la Haute Autorité. De façon pragmatique, ce n’est pas parce que le jeu vidéo fait partie intégrante de notre travail d’observation et qu’un travail pourrait être fait du point de vue de l’offre légale, qu’il va rejoindre la réponse graduée. C’est d’ailleurs une erreur que font beaucoup d’observateurs.
En réalité, nous prenons en compte les jeux vidéo dans nos missions d’observation et de promotion de l’offre légale, car notre mission concerne l’ensemble du domaine culturel. Nous ne sommes pas proactifs en matière de protection des droits. Si les acteurs de l’industrie nous saisissent en formulant des demandes, elles seront évidemment examinées par l’Autorité, mais rien ne nous a été communiqué à l’heure actuelle.
Éric Walter. Très bien. Nous considérons que l’Hadopi est aujourd’hui arrivée à maturité. L’Autorité fonctionne dans des conditions budgétaires volontairement restreintes avec la mise en place, dès 2012, d’une politique interne de rigueur budgétaire sans précédent. Grâce à ces économies, nous continuons à mener à bien notre mission. L’équipe compte aujourd’hui une soixantaine d’agents, dont la moyenne d’âge se situe entre 30 et 35 ans. Cela donne à l’institution la proximité nécessaire à la bonne réalisation de sa mission sur Internet.
Décideurs. Au mois d’octobre, 138 000 emails ont été adressés (+ 165 % par rapport au mois précédent) : l’Hadopi passe-t-elle, après trois ans d’existence, à la vitesse supérieure ?
É. W. Non, ce n'est pas une accélération. C’est d’avantage l’acquisition d’une certaine maturité à la suite d’une période logique de réglages. Quand je parle de notre histoire, je prends souvent l’exemple de l’achat d’un ordinateur: il faut attendre la livraison, l’installer, mettre à jour les logiciels, etc. Aujourd’hui tout est branché, à jour et fonctionne parfaitement bien. Beaucoup de gens oublient que notre institution est effectivement sortie de terre au cours des deux premiers trimestres 2010 alors qu’il apparaît normal, au vu de la tâche qui nous a été confiée, de prendre le temps nécessaire pour mettre en marche la machine. Plus largement, on observe aisément dans l’action publique un délai de deux, trois années, voire plus, entre la décision du législateur et l’application à proprement parler d’une réforme. L’Hadopi ne fait pas exception à la règle.
Décideurs. Que pensez-vous du rapport de Jacques Bille, qui rappelle qu’en 2011, la France a dépensé vingt-six millions d’euros d’argent public pour lutter contre le téléchargement quand les acteurs privés ont, eux, dépensé trente-quatre millions ?
É. W. Il faut remettre les chiffres dans leur contexte. Tout d’abord sur les vingt-six millions d’euros alloués en 2011, quatorze l’étaient au titre de l’opération nationale de la « carte musique ». Et ils n’ont pas été dépensés. On n’est donc déjà plus dans le même ordre de grandeur évoqué par le rapport. Si aujourd’hui on ne prenait que les coûts français, on évoquerait un montant inférieur d’environ 70 % aux vingt-six millions annoncés. Ce rapport est toutefois nécessaire car c’est le premier document qui étudie la question, mais il doit être pris en compte dans sa globalité, pour en extraire des tendances, au lieu de décortiquer certains chiffres de façon isolée.
Décideurs. Comme Autorité, avez-vous noté une évolution des initiatives privées ?
É. W. C’est difficile à dire. Nous n’avons pas constaté de forte évolution des comportements en trois ans. C’est une tendance assez linéaire.
Décideurs. Dans ce même rapport, on note également une baisse de 17 % de la fréquentation des sites peer to peer, est-ce le résultat d’une stratégie ?
É. W. Pas vraiment, dans la mesure où nous n’avons pas une « stratégie » propre mais sommes chargés d’une « mission » qui concerne l’ensemble des problématiques liées au téléchargement.
Une forte baisse de la fréquentation des sites peer to peer a effectivement accompagné le lancement de l’Hadopi au cours de ses deux premières années. Aujourd’hui, on note une stabilisation de cette tendance à un niveau de fréquentation relativement bas.
Décideurs. Ce chiffre vous convient-il ou allez-vous intensifier les efforts sur ce front ?
É. W. Nous avons trois missions, que nous avons lancées successivement. Le grand chantier de la protection, l’encouragement de l’offre légale et enfin l’observation. Ces trois fronts sont désormais opérationnels et matures. Nous allons donc continuer notre action et intensifier notre effort de façon linéaire.
Décideurs. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre projet de rémunération proportionnelle du partage (RPP) ?
É. W. Tout d’abord, nous ne défendons pas et ne voulons pas imposer un seul et même modèle. Nous explorons simplement une solution qui nous semble juste vis-à-vis des créateurs de contenus. Il peut y en avoir d’autres. Nous insistons bien sur le fait que ce n’est pas une action de lobbying. Nous avons observé différents types de comportements chez les internautes, notamment dans leur accès aux contenus numériques culturels. Le caractère gratuit de ces accès est quasi totalement répandu sur la toile, et peu de contreparties sont reversées aux créateurs, auteurs et titulaires de droit. Ces faits nous amènent à penser qu’un système de rémunération compensatoire doit exister, car il y a réellement transfert de valeur au moment du partage d’un fichier musical ou d’une œuvre cinématographique. Il nous semble donc logique que la plate-forme sur laquelle ces échanges sont effectués, et qui a besoin de ces échanges pour exister, rémunère en aval les artistes. Nous conceptualisons actuellement un système complexe et non intrusif qui permettra de visualiser ces flux d’échanges. Ce projet, qui nécessite de réaliser un modèle mathématique complexe pour fonctionner, sera d’ailleurs mené de pair avec l’institut public Inria.
Décideurs. Où en êtes-vous dans l’approche du secteur du jeu vidéo ? Ce secteur a-t-il une chance d’être un jour soumis à la riposte graduée ?
É. W. Une fois de plus, il faut décorréler la mission de protection des droits des deux autres missions de la Haute Autorité. De façon pragmatique, ce n’est pas parce que le jeu vidéo fait partie intégrante de notre travail d’observation et qu’un travail pourrait être fait du point de vue de l’offre légale, qu’il va rejoindre la réponse graduée. C’est d’ailleurs une erreur que font beaucoup d’observateurs.
En réalité, nous prenons en compte les jeux vidéo dans nos missions d’observation et de promotion de l’offre légale, car notre mission concerne l’ensemble du domaine culturel. Nous ne sommes pas proactifs en matière de protection des droits. Si les acteurs de l’industrie nous saisissent en formulant des demandes, elles seront évidemment examinées par l’Autorité, mais rien ne nous a été communiqué à l’heure actuelle.