Livres : découvrez notre sélection d’hiver
Le Houellebecq nouveau est arrivé
C’est l’événement littéraire de ce début d’année : la sortie d’anéantir, dernier roman du plus célèbre des écrivains français. Cette fois-ci, le récit se passe dans la France de 2027 à la veille de la présidentielle opposant un présentateur de télévision devenu dauphin d’Emmanuel Macron (qui n’est pas cité) à un jeune et brillant candidat RN. Le personnage principal, Paul Raison, haut fonctionnaire est confronté au placement de son père en Ehpad et à de multiples conflits familiaux. Dans ce texte très houellebecquien, on retrouve tous les ingrédients qui ont fait le succès de l’auteur : un antihéros insipide, des liens familiaux distendus, une solitude omniprésente comblée par des palliatifs tels que la drogue et les escorts. En matière de décor, du classique également : une France périphérique oscillant entre déclassement et parc d’attraction géant, des TGV, des stations-services, des plats surgelés. anéantir laisse une impression mitigée. Si Michel Houellebecq dépeint avec précision et style les peurs et travers de notre époque, le récit semble parfois un peu long, l’effet thriller du début s’estompe rapidement et tombe quelque peu dans la facilité en "faisant du Houellebecq" au risque de pas se réinventer, se mettre en danger. L’ouvrage possède toutefois ce "petit quelque chose" qui nous pousse à tourner les pages et à débattre du contenu avec nos proches.
anéantir, de Michel Houellebecq, Flammarion, 730 pages, 26 euros
Mémoire à entretenir
"Vous racontez beaucoup votre histoire autour de vous ?" demande un jour Simone Veil à Jo Weismann. "Non pas spécialement", lui répond l’intéressé. "Il faut témoigner, vous avez un devoir de mémoire à accomplir !". Depuis cette conversation, le rescapé de la Shoah sillonne les établissements scolaires pour raconter son histoire. Celle d’un écolier parisien comme les autres qui du jour au lendemain doit porter une étoile jaune. Celle d’un enfant raflé avec sa famille, conduit au Vel d’hiv puis dans un camp de transit à Beaune-la-Rolande. Par miracle, il arrive à s’échapper du camp avec un compagnon d’infortune. Puis traverse la guerre caché. Jo Weismann ne retrouvera jamais les siens mais bâtira une famille et transmettra son histoire. Notamment dans cette superbe bande dessinée qui revient sur un destin vécu par des millions d’autres enfants. Le livre est à mettre d’urgence entre toutes les mains. Surtout à notre époque où l’antisémitisme semble regagner de la vigueur.
Après la rafle, une histoire vraie, d’Arnaud Delalande et Laurent Bidot, avec Joseph Weismann, Les Arènes BD, 124 pages, 21 euros.
L’aventurier en attaché-case
C’est un cliché tenace : les avocats seraient dotés d’une plume aride et pointilleuse. Pour détruire définitivement ce poncif, lisez sans hésiter l’ouvrage de l’avocat international Yves Huyghé de Mahenge. Rédigé de manière truculente et savoureuse, l’avocat, notamment connu pour son rôle chez Freshfields, revient sur son parcours et ses péripéties. Et elles valent le détour. Le quotidien professionnel d’Yves Huyghé de Mahenge est parfois proche d’un roman d’aventure : de l’immatriculation d’avions à Djibouti à la pénétration du marché post-soviétique en passant par des contrats miniers en Nouvelle-Calédonie, l’auteur nous amène à la croisée de la géopolitique, de l’Histoire et du thriller. Les personnages hauts en couleur et la faconde de l’auteur font de cet ouvrage un must-have pour tous les publics.
Le Concorde flyer - Chroniques d’un avocat international, d’Yves Huyghé de Mahenge, Préface de Pierre-Etienne Lorenceau, Éditions Vérone, 330 pages, 25 euros
Cosmique
Après Jason, Héraclès, Thésée ou encore Persée, la collection La sagesse des mythes des éditions Glénat s’étoffe pour accueillir une BD cette fois consacrée à Apollon. Un enfant pas comme les autres que sa mère, Létô, eut bien du mal à mettre au monde, la jalouse Héra menaçant tous ceux qui soutiendraient celle qui fut l’amante de son mari, Zeus. Symbolisant l’harmonie, Apollon n’existe qu’en opposition à Dionysos, incarnation du chaos, nous rappelle Luc Ferry qui chapeaute la collection. L’ouvrage raconte ce dieu de la musique et de la lumière solaire, figure de la beauté masculine. Des attributs synonymes de l’ordre cosmique si cher aux Grecs anciens et qu’on se plaît à (re)découvrir au fil des images.
La Sagesse des mythes, Apollon, de Luc Ferry, Clotilde Bruneau et Luca Erbetta, Glénat, 56 pages, 14,95 euros
Sagan sous un jour nouveau
"Le goût du plaisir, du bonheur représente le seul côté cohérent de mon caractère." Françoise Sagan, devenue célèbre dès son premier ouvrage publié alors qu’elle n’avait que dix-huit ans, écrivait ces lignes dans son roman Bonjour tristesse. Aujourd’hui, des décennies plus tard, chacune de ses pensées et aphorismes – toutes œuvres confondues – sont à relire, voire à méditer. Porté par un style admiré et assumé, ce recueil de plus de 300 citations retrace son parcours littéraire en baladant le lecteur entre humour et réflexion. Liberté, tristesse, amour ou encore passion, les traits d’esprit de Françoise Sagan se dévoilent page après page, fidèlement retranscrits grâce au travail de sélection de son fils Denis Westhoff, qui a su, à travers ce livre, faire vivre le talent et la personnalité de l’écrivain.
Aphorismes & pensées, de Françoise Sagan, Julliard, 237 pages, 16 euros
L’eau à la bouche
Depuis 2016, la critique gastronomique Emmanuelle Jary, accompagnée à la caméra de son fidèle acolyte Mathieu Pansard, nous fait saliver à travers la chaîne YouTube C’est meilleur quand c’est bon. Des tutos pour de bons petits plats y côtoient des émissions consacrées aux restaurants qui valent le coup de fourchette. Dans un livre qui reprend le titre de l’émission, Emmanuelle Jary jette sur le papier ses dix commandements (engagés) pour la cuisine, soixante recettes salées et sucrées, et nous livre un carnet de deux cents bonnes adresses un peu partout en France. Aussi vivant et personnel que les vidéos, cet ouvrage propose une cuisine globalement accessible et classique mais avec des conseils et des petits plus qui font toute la différence. Et n’oubliez pas : "Qui cuisine sans beurre est un imposteur" !
C’est meilleur quand c’est bon, d’Emmanuelle Jary, Hachette cuisine, 192 pages, 19,95 euros
Quand le génie provoque l’audace
Point de rencontre entre une mère aux prises avec une vie loin de ses rêves de jeune femme, d’un fils fâché avec le système et d’une ville foncièrement attachée à ses traditions, réticente à la nouveauté, le Bazar du zèbre à pois fera office de détonateur pour ces vies croisées. Au détour d’une boutique marginale, Raphaëlle Giordano ramène les personnages à leur profond besoin de changement et d’introspection, soigneusement enfoui sous la lassitude du quotidien, mêlé aux attentes d’une société ultra-normée, animée par la peur des émotions. Un besoin vital dont le commerçant, sorte de magicien-génie pour ces vies passantes, en fait sa mission: provoquer le destin. Au fil des pages, l’auteure nous amène à réfléchir sur la manière de s’affirmer tout en mettant plus de vie dans la vie. Elle pousse le lecteur à exercer ses propres talents et se libérer de ses entraves, mettant en application le mot du zèbre, l’audacité.
Le Bazar du zèbre à pois, de Raphaëlle Giordano, Plon, 289 pages, 18,90 euros
La Birmanie s’éveille
La Birmanie est un pays méconnu du plus grand nombre. Y parvient des échos lointains : une junte qui s’accroche au pouvoir, une prix Nobel, Aung san suu kyi, qui ne fait pas l’unanimité, des guérilleros cachés dans la jungle. Même si le pays est isolé du reste du monde, la jeunesse reste toutefois connectée et connaît la démocratie, en théorie. Et cherche à la mettre en pratique. Parmi les figures montantes de cette nouvelle Birmanie se trouve Thinzar Shunlei Yi, fille d’un militaire mais passée du côté des démocrates. Dans ce récit, elle raconte sa soif de changement, les manifestations, l’enthousiasme. Puis la fuite et la clandestinité. De quoi faire passer nos antivax en lutte pour "la vérité" ou "la démocratie" pour des enfants gâtés.
Mon combat contre la junte birmane, de Thinzar Shunlei Yi, avec Guillaume Pajot, Robert Laffont, 183 pages, 18 euros.
Marine Fleury, Olivia Vignaud, Lucas Jakubowicz